Le diable danse à St-Ambroise
La danse, à cette époque, était défendue. Les curés en parlaient en chaire; ce n'était pas un cadeau. Bien sûr, on blâmait les joueurs de violon qui faisaient danser les gens des grandes nuits de temps. Ce n'était pas facile d'amuser le monde, encore moins de danser.
Or, il y avait une salle de danse à Saint-Ambroise. Et évidemment, la danse n'était pas permise là, comme n'importe où ailleurs. Un bon samedi, vers neuf heures du soir, arrive un gars avec un beau cheval noir, bien attelé à une voiture. Il attache son cheval devant la porte. Puis, il entre dans la salle, vêtu de façon très élégante et coiffé d'un magnifique chapeau de castor.
L'homme invita une demoiselle à danser. Il portait des gants, mais il ne voulait pas les enlever; pas plus qu'il ne voulait enlever son élégant manteau et son chapeau de castor. À un moment donné, au beau milieu de la danse, la jeune fille le laisse là et va rejoindre son groupe d'amis. Quand il voit ça, le gars va demander une autre fille pour danser. L’autre fille refuse, l'homme la rendait mal à l'aise, elle trouvait que c’était un gars étrange.
Alors, l'individu partit comme un diable en furie. Mais avant de s’en aller, ouvrant la porte, il allongea son bras, puis il estampa ses cinq doigts sur le cadre de la porte. C’était imprimé en rouge, rouge comme du beau sang. Les danseurs et les musiciens étaient bien découragés de voir ça ! Ils sont donc tous sortis dehors pour aller voir ce gars-là, et où il était allé. Le gars avait disparu. Ils ne voyaient plus ni son cheval, ni sa voiture.
Madeleine de Verchères
Mythe, légende ou réalité ?
Historiens et chroniqueurs contestent certains détails des faits qui entourent cette histoire. L'événement qui donne naissance à la légende de Madeleine de Verchères est un fait bien réel, dont on connaît bien le contexte: le temps, octobre 1692; le lieu, le fort de Verchères; le personnage central, Madeleine Jarret de Verchères. Il est utile de rappeler que Madeleine elle-même donnera le récit des attaques iroquoises dont elle fut l'objet. Le premier en 1699, l'autre une trentaine d'années plus tard soit en 1732. Madeleine a-t-elle embelli son acte de bravoure au point de créer elle-même sa propre légende?
J'ai brassé quelques souvenirs, fait quelques recherches et je vous raconte cette histoire qui m'a fascinée quand j'étais jeune écolière.
Madeleine Jarret de Verchères est née sur la seigneurie de son père le 3 mars 1678. Son père, le seigneur François Jarret de Verchères, enseigne au régiment de Carignan, prenait part aux manoeuvres militaires mais gérait aussi son domaine, ses bêtes et ses cultures comme la plupart des Français installés en Nouvelle-France à cette époque.
Le fort qu'il fit construire n'avait rien d'une forteresse. Ce fort était destiné à protéger ses biens et sa famille. De plus, en cette période d'incursions iroquoises , très fréquentes à cet endroit à cause de la proximité de la rivière Richelieu, route traditionnelle des Agniers, il pouvait servir aussi de refuge à la population. On y avait accès par une seule porte faisant face au fleuve.
Trois enfants nés avant Madeleine sont décédés, dont deux qui furent tués lors d'une précédente attaque des Iroquois. Madeleine est devenue ainsi l'aînée de la famille, donc chargée de responsabilités: quand les parents s'absentent, elle a fonction de gardienne, elle "garde le fort".
En ce matin d’octobre, Madeleine âgée d'un peu plus de quatorze ans est à quelques quatre cents pas du fort de Verchères. Ses parents se sont absentés. Il n’y a, à l’intérieur des palissades, que des femmes et des enfants et un seul soldat qui veille. Une vingtaine d’habitants sont occupés aux travaux des champs dans les alentours.
Dans les buissons, des Iroquois sont cachés. Ils observent sans bruit les gens qui vaquent tranquillement à leurs occupations. Soudain, un cri retentit, les Iroquois font irruption, ils font prisonniers quelques colons travaillant aux champs. L'un deux se précipite sur Madeleine et l’attrape par le mouchoir qu'elle a noué autour de son cou.
Vive comme l’éclair et avec une étonnante présence d’esprit, Madeleine dénoue son petit foulard et court vers le fort en criant :
- Aux armes !
Elle referme la lourde porte derrière elle, malgré les cris des femmes dont les maris sont restés en dehors de la palissade, grimpe sur le bastion où se tient la sentinelle. Avec sang froid, elle prend les choses en main : se coiffant du chapeau de soldat de la sentinelle, elle se déplace rapidement pour donner l’illusion d’un va-et-vient de plusieurs personnes.
Mobilisant ses jeunes frères , elle les invite à faire comme elle. Elle charge elle-même un canon de quatre livres de balles et tire sur les assaillants. Ce coup alertera les forts voisins qui ponctuent les rives du Saint-Laurent jusqu'à Montréal.
Avec leurs quelques prisonniers, les Iroquois se retirent. Les secours finissent par arriver des forts voisins. Les habitants du fort de Verchères sont saufs grâce à la ruse et à la présence d'esprit de la jeune Madeleine de Verchères
" N'êtes-vous jamais allé jusqu'au Fort des Prêtres à la montagne? Vous êtes-vous enfoncé quelquefois dans les sombres taillis qui bordent au sud-ouest la montée qui conduit à la Côte des Neiges? Et, si vous avez été tant soit peu curieux d'examiner les sites pittoresques, les vallées qui s'étendent jeunes et fleuries sous vos yeux, les rocs qui parfois s'élèvent menaçants au-dessus de vos têtes; vous n'êtes pas sans avoir vu comme une tache blanchâtre qui apparaît au loin, à gauche, sur le fond vert d'un des flancs de la montagne. Eh bien, cette tache qui de loin vous semble comme un point, c'est une petite tour à la forme gothique, aux souvenirs sinistres et sombres, pour celui qui connaît la scène d'horreur dont elle a été le théâtre. "
C'est ainsi que Georges Boucher de Boucherville introduit cette histoire terrifiante qu'il a racontée en 1835. À cet endroit, deux amoureux auraient été mystérieusement assassinés. Mais Georges Boucher affirme qu'il ne s'agit pas d'une légende...
N'aurait-il pas plutôt créé une légende ?
Je vous raconte, à ma façon, cette histoire
À Montréal, dans le quartier Côte-des-Neiges, existe une petite tour appelée la tour de Trafalgar. Cette tour n'a pas très bonne réputation. On raconte que plusieurs personnes l'ayant visitée y étaient revenues en affirmant y avoir vu d'étranges phénomènes : du sang sur les murs, une main fantomatique semblait vouloir les étrangler, des bruits de pas qui résonnaient sur le sol lorsqu'ils s'enfuyaient du lieu, etc.
Georges Boucher de Boucherville* publia, en 1835, une étrange histoire. A-t-il vraiment vécu ce qu'il nous raconte ou n'est-il pas plutôt l'initiateur de cette légende ?
Je vous raconte, à ma façon, la légende de la Tour de Trafalgar.
Léocadie, jeune et jolie brunette de 17 ans, vivait avec sa tante dans le quartier Côte-des-Neiges. Une figure douce et spirituelle, des manières agréables et une assez jolie fortune, faisaient d'elle le meilleur parti de son quartier. Fiancée à Joseph dont elle était profondément amoureuse, elle n'attendait que le jour béni où tous les deux seraient enfin unis par les liens indissolubles du mariage.
Un jour que Léocadie venait d'aller à l'église y faire ses dévotions, un jeune homme entra, non pas tant pour y prier Dieu, mais pour y admirer l'intérieur de l'édifice. Il vit la jeune fille traversant la nef d'un pas léger pour sortir du temple. Il conçut pour elle un amour fort, violent et passionné. Après avoir fréquenté la jeune fille quelques temps, c'est de la tante de Léocadie que l'étranger apprit que le coeur de la jeune fille était déjà pris. Il jura alors de se venger de celle qu'il avait tant aimée. Il lui lança alors, avant de partir, ces paroles sinistres: "Regarde le soleil, comme il est rouge; il est rouge comme du feu, comme du sang, comme le sang qui doit couler".
La veille de son mariage, Léocadie et son fiancé Joseph, partirent ensemble pour aller se promener à la montagne, et jouir d'une agréable journée printanière. C'est ainsi qu'ils se rendirent jusqu'à la petite tour. Comme ils mettaient les pieds sur le seuil de la porte, un homme, que Léocadie reconnut aussitôt, se précipita, rapide comme la foudre, avec un couteau à la main. Elle jeta un cri, pâlit, et tomba sans connaissance et sans vie aux pieds de son assassin qui l'avait frappée au coeur. Joseph s'élança alors sur lui voulant venger sa bien-aimée ou mourir avec elle. Une lutte violente s'engagea. L'étranger jeta Joseph par terre et un genou sur sa poitrine, le saisit à la gorge et l'étrangla. Le lendemain, on les découvrit tous les deux assassinés. L'étranger fut arrêté, condamné à être exécuté et avoir les bras, jambes, cuisses et reins rompus vifs sur un échafaud qui fut dressé sur la place du marché de la ville.
La tour de Trafalgar devint alors un lieu maudit. Plusieurs témoins ont affirmé s'y être rendus. Tous ont aperçu du sang sur les murs et sur la porte. Et, chacun jurait que la peur et l'angoisse qu'il ressentait alors, les obligeaient à fuir les lieux. Pire, tous affirmaient qu'ils entendaient des bruits de pas derrière eux lorsqu'en courant, ils dévalaient la pente du sentier menant à la tour
==============================
.
La légende de Cadieux appartient à la petite histoire de la grande rivière des Outaouais.
Quand ses amis algonquins, partis à sa recherche, trouvèrent la fosse où Cadieux s'était endormi, ils découvrirent aussi une complainte écrite sur une feuille de bouleau d'écorce.
Pour le compte des marchands de Montréal et de Québec, Cadieux se retrouvait souvent dans la région de la rivière des Outaouais, afin de négocier des échanges pour des pelleteries. Il y rencontrait les Indiens qu'il connaissait bien ayant épousé une des leurs, une Kichisipirini, une Algonquine de la Grande-Nation.
Installé avec sa famille au petit rocher de la haute montagne, en plein milieu du portage des Sept-Chutes, en bas de l'île du grand Calumet avec d'autres familles algonquines, il préparait son canoë quand un jeune algonquin accourt vers le campement essoufflé, inquiet et excité. Les Iroquois arrivent ! Cadieux n'est pas surpris. Les Iroquois profitent souvent du passage de voyageurs chargés de fourrures pour les attaquer, les piller et ensuite disparaître.
Cadieux et les Algonquins n'ont pas le choix; il faut sauter les Sept-Chutes ou affronter la troupe ennemie. Les cabanes se vident, les canoës se remplissent. Cadieux expliquent à ses amis algonquins qu'il ira, avec son ami Bessouat, à la rencontre des Iroquois, histoire de faire diversion.
- Quand vous aurez entendu deux coups de fusil venant du portage, foncez vers les rapides. Prenez bien soin de ma femme!
Et les deux hommes partent vers le portage pendant que les Algonquins attendent immobiles, silencieux, avirons à la main. Un premier coup de fusil retentit, puis un deuxième, c'est le signal du départ. Les embarcations des Algonquins foncent en plein coeur des chutes où des montagnes de rocs et les flots tumultueux voudraient arrêter les fragiles canoës d'écorce. Mais les pagayeurs sont habiles: pilote et navigateur coordonnent leurs mouvements à chaque bout du canoë; ils contournent les dangereuses pointes cachées sous l'écume, se glissent entre les rochers, surveillent le courant. Ils arriveront à bon port deux jours plus tard pour y attendre Cadieux et son ami Bessouat.
Le premier coup de fusil avait été pour Cadieux, plus qu'un signal à ses amis; c'était un geste de défense. Les Iroquois sont là et les ont aperçus. Bessouat est rapidement encerclé. Cadieux ne peut plus risquer une plus longue attente. Il s'enfonce dans le bois en prenant soin de ne pas laisser de traces derrière lui. Il replace les feuilles, les branches, revient sur ses pas pour brouiller les pistes.
Cadieux connaît bien la route du lac des Deux-Montagnes, mais non pas la forêt. Il n'ose donc pas s'éloigner afin de retrouver son canoë pour y rejoindre ses amis algonquins et sa femme. Il se construit un abri, se nourrit de fruits sauvages, évite de faire du feu. Il ne sait pas que les Iroquois ont rebroussé chemin. Connaissant l'habileté des Algonquins, les Iroquois ont rapidement deviné que ceux-ci ont sauté les rapides des Sept-Chutes.
Treize jours plus tard, inquiets de ne pas voir arriver les deux hommes, les Algonquins décident d'envoyer des hommes au partage. Ils découvrent le corps de Bessouat, scalpé, abandonné. Ils remontent jusqu'à l'abri de Cadieux. Personne ! Revenant par un sentier d'où ils étaient venus, ils aperçoivent une croix de bois qu'ils n'avaient pas remarquée en arrivant la veille. Une fosse était creusée et le corps, encore chaud de Cadieux y reposait. Les mains sur la poitrine, il serrait une feuille d'écorce de bouleau couverte d'écriture. Ils comprirent que Cadieux était vivant la veille, qu'ils les avaient reconnus, mais une trop grande faiblesse ou l'émotion de la joie l'ont empêché de crier sa présence. Il avait donc écrit sa complainte, son chant de mort sur un feuillet d'écorce et s'endormit pour ne plus jamais se réveiller.
Durant plusieurs années, les Algonquins revinrent à cet endroit. Leur chef déposait alors un nouveau feuillet de bouleau sur lequel il avait recopié la Complainte de Cadieux et fixait celui-ci sur une croix de bois placée à la tête de la fosse.
La complainte de Cadieux
« Petit rocher de la Haute-Montagne,
Je viens ici finir cette campagne!
Ah! Doux échos, entendez mes soupirs,
En languissant, je vais bientôt mourir!
Petits oiseaux, vos douces harmonies,
Quand vous chantez, me rattachent à la vie:
Ah! Si j'avais des ailes commes vous,
Je s'rais heureux avant qu'il fut deux jours!
Seul dans ces bois, que j'ai eu de soucis,
Pensant toujours à mes si chers amis;
Je demandais: hélas! Sont-ils noyés?
Les Iroquois les auraient-ils tués?
Un de ces jours que m'étant éloigné,
En revenant je vis une fumée;
Je me suis dit: Ah! Grand Dieu! Qu'est ceci?
Les Iroquois m'ont-ils pris mon logis?
Je me suis mis un peu à l'ambassade,
Afin de voir si c'était embuscade;
Alors je vis trois visages français.
M'ont mis le coeur d'une trop grande joie!
Mes genoux plient, ma faible voix s'arrête,
Je tombe... hélas! À partir ils s'apprêtent:
Je reste seul... pas un qui me console,
Quand la mort vient par un si grand désole!
Un loup hurlant vient près de ma cabane,
Voir si mon feu n'avait plus de boucane!
Je lui ai dit: Retire-toi d'ici;
Car ma foi, je perdrai ton habit!
Un noir corbeau volant à l'aventure,
Vient se percher tout près de ma toiture;
Je lui ai dit: Mangeur de chair humaine,
Va-t-en chercher autre viande que mienne.
Va-t-en là-bas dans ces bois et marais,
Tu trouveras plusieurs corps iroquois;
Tu trouveras des chairs aussi des os;
Va-t-en plus loin, laisse-moi en repos!
Rossignolet, va dire à ma maîtresse,
À mes enfants, qu'un adieu je leur laisse,
Que j'ai gardé mon amour et ma foi,
Et désormais faut renoncer à moi!
C'est donc ici que le monde m'abandonne,
Mai j'ai recours en vous Sauveur des hommes!
Très-sainte Vierge, ah! M'abandonnez pas,
Permettez-moi de mourir entre vos bras!»