Le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de Nanterre a condamné, jeudi 17 décembre, Renault pour "faute inexcusable" pour le suicide d'un de ses salariés en 2006, a annoncé la présidente du tribunal, Marie-Hélène Kartti.
Antonio B., ingénieur en informatique de 39 ans, s'est suicidé le 20 octobre 2006. Il s'est jeté du 5e étage du bâtiment principal du Technocentre de Renault à Guyancourt (Yvelines), devant plusieurs de ses collègues.
"Si j'ai décidé de ne pas en rester là, avait expliqué au Monde sa veuve Sylvie en mars 2007, c'est pour que mon fils de 11 ans connaisse les vraies raisons qui ont poussé son père à se donner la mort." Sylvie et sa famille estimaient que Renault n'avait pas respecté ses obligations de sécurité et que le stress professionnel auquel était soumis le salarié avait directement contribué à son geste. La famille d'Antonio B. avait demandé la majoration de la rente versée à la famille et un euro symbolique d'indemnisation, ce qui a été accepté par le tribunal.
A l'annonce de la décision du TASS, le porte-parole de Renault a rappelé que ce suicide avait été "un drame qui avait choqué tout le monde chez Renault". Il a expliqué que Renault, qui dispose d'un mois pour faire appel, avait "pris note de cette décision". "Avec tout le respect que nous avons pour la douleur de la veuve et donc pour sa démarche judiciaire, on pensait avoir fait la preuve dans le dossier que les éléments de fautes inexcusables n'étaient pas établis", a toutefois rappelé le porte-parole.
La direction de Renault a-t-elle mesuré toutes les conséquences d'autoriser la réalisation d'une enquête indépendante sur les conditions de travail au Technocentre de Guyancourt (Yvelines) ? C'est dans ce lieu, où sont conçus la plupart des véhicules du constructeur, que deux salariés se sont suicidés, tandis qu'un autre s'est donné la mort à son domicile, entre octobre 2006 et février 2007.
Chronologie :
20 OCTOBRE 2006 :un salarié de 39 ans se donne la mort au Technocentre de Guyancourt (Yvelines). Ce suicide a été classé accident du travail. En septembre 2004, un salarié d'un prestataire de services de Renault, et en juillet 2005, un salarié de Renault avaient tenté de se suicider au Technocentre.
22 JANVIER 2007 :un technicien de 44 ans se donne la mort sur les abords du site de Guyancourt.
16 FÉVRIER :suicide d'un salarié du Technocentre à son domicile. Dans une lettre, il explique ses difficultés au travail.
16 MARS :un plan de soutien demandé par Carlos Ghosn, le patron de Renault, est lancé. Une nouvelle organisation est mise en place et un budget de 10 millions d'euros est alloué.
24 SEPTEMBRE :un technicien de maintenance du site d'Aubevoye (Eure), en arrêt-maladie, se suicide chez lui.
26 SEPTEMBRE :Renault met en place un plan de maîtrise du temps de travail.
Réalisé par le cabinet d'expertise Technologia, ce rapport de 150 pages a été remis jeudi 18 octobre au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de "la ruche", le lieu où sont regroupés les bureaux d'études. Plus de 5 800 des 9 257 salariés interrogés (soit 62,7 %, la moitié étant ingénieurs et cadres) ont accepté de répondre à une centaine de questions et 120 entretiens individuels ont été réalisés.
Les conclusions du rapport sont jugées "accablantes" pour le syndicat SUD et "édifiantes" pour la CGT. Selon Technologia, avec un taux de 31,2 % des salariés (cadres et ingénieurs) sous tension, le niveau de risques psychosociaux "est particulièrement élevé". Selon l'Inserm, ce chiffre est de 10,30 % pour cette catégorie dans la population française.
Pour Bernard Ollivier, directeur du Technocentre, ce chiffre est à prendre avec prudence : "Selon notre observatoire du stress, 18 % des salariés se sont déclarés stressés en 2006." Néanmoins, il se dit prêt à mettre en place "une instance de suivi" pour ces salariés.
La direction de Renault préfère insister sur le fait que deux tiers de personnes sont satisfaites de leur situation professionnelle et que 74 % estiment que les conditions de travail dans lesquelles ils exercent leur activité professionnelle sont plutôt bonnes. Ce chiffre tombe à 43,9 % pour les salariés sous tension.
Le cabinet souligne que ces situations de tension sont "fortement liées au manque de reconnaissance". Celui-ci tient notamment à "un déficit de soutien dans les situations difficiles", mais aussi "à des perspectives de promotion limitées". Le niveau global de motivation est assez faible : la moitié des salariés estiment aller au travail avec "moins d'enthousiasme qu'avant". Chez les salariés sous tension, "cette proportion atteint 71 %. Ils ont le sentiment d'une perte de sens au travail".
Principales contraintes évoquées par les salariés : le manque d'informations claires, de temps et d'effectifs. "Dans la pratique, mes horaires sont 8 heures-20 heures au bureau, travail à la maison de 22 heures à minuit, voire 1 heure du matin. Ce n'est évidemment pas par plaisir que je fais cela mais parce que c'est la seule façon d'assurer ma fonction", témoigne un chef de projet.
"ILS RATTRAPENT LE TRAVAIL CHEZ EUX"
Plus des deux tiers des salariés estiment travailler quotidiennement plus de 9 heures. Pour 87,5 % des cadres dirigeants, c'est plus de 10 heures par jour. "On est face à une cascade : ce qui est imposé est infaisable dans les délais impartis. Bien qu'ils soient attachés à leur travail, les salariés n'osent pas dire qu'ils n'y arrivent pas, car ils auraient alors le sentiment d'être des incapables, alors ils rattrapent le travail chez eux", analyse Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche à l'Inserm et spécialiste des questions de santé au travail.
"Je supporte très bien de travailler 12 heures lorsqu'il s'agit d'une surcharge passagère. Ce temps étant devenu quotidien depuis longtemps, je n'ai plus la capacité d'absorption des surcharges qui nécessiteraient de passer à 14 ou 16 heures", explique un responsable d'unité de conception.
Cette situation ne date pas d'hier, soulignent les syndicats, mais le plan 2009 lancé par Carlos Ghosn, le patron de Renault, n'arrange pas les choses. Le Technocentre doit sortir 26 nouveaux modèles, soit huit par an, contre quatre auparavant. "En 1993, il a fallu 54 mois pour concevoir et produire la Laguna I, la Laguna III (est sortie) en 26 mois et le délai sera encore réduit pour la nouvelle Mégane", note Technologia. Le cabinet souligne néanmoins une "forte adhésion des salariés du Technocentre aux objectifs du contrat 2009".
Pour répondre aux difficultés de ses salariés, la direction a pris des mesures. Elle s'est engagée à embaucher 350 CDI et 200 intérimaires et a lancé un plan de maîtrise du temps de travail (Le Monde du 29 septembre). "Nous mettons des briques les unes à côté des autres et l'ensemble permettra l'amélioration des conditions de vie", soutient M. Ollivier. "Le diagnostic de Renault recoupe largement celui de notre mission, conclut Technologia. Les mesures prises apparaissent significatives et bien orientées en ce sens qu'elles attaquent de front les problèmes révélés par le diagnostic de la situation avec des mesures fortes."
Pour remettre un peu de convivialité, Renault a décidé d'organiser une "journée de l'équipe" les 8 et 9 novembre. Certains salariés restent sceptiques. " La convivialité, ça ne se décrète pas !", conclut Vincent Neveu, délégué CGT.
Le Monde .
Antonio B., ingénieur en informatique de 39 ans, s'est suicidé le 20 octobre 2006. Il s'est jeté du 5e étage du bâtiment principal du Technocentre de Renault à Guyancourt (Yvelines), devant plusieurs de ses collègues.
"Si j'ai décidé de ne pas en rester là, avait expliqué au Monde sa veuve Sylvie en mars 2007, c'est pour que mon fils de 11 ans connaisse les vraies raisons qui ont poussé son père à se donner la mort." Sylvie et sa famille estimaient que Renault n'avait pas respecté ses obligations de sécurité et que le stress professionnel auquel était soumis le salarié avait directement contribué à son geste. La famille d'Antonio B. avait demandé la majoration de la rente versée à la famille et un euro symbolique d'indemnisation, ce qui a été accepté par le tribunal.
A l'annonce de la décision du TASS, le porte-parole de Renault a rappelé que ce suicide avait été "un drame qui avait choqué tout le monde chez Renault". Il a expliqué que Renault, qui dispose d'un mois pour faire appel, avait "pris note de cette décision". "Avec tout le respect que nous avons pour la douleur de la veuve et donc pour sa démarche judiciaire, on pensait avoir fait la preuve dans le dossier que les éléments de fautes inexcusables n'étaient pas établis", a toutefois rappelé le porte-parole.
La direction de Renault a-t-elle mesuré toutes les conséquences d'autoriser la réalisation d'une enquête indépendante sur les conditions de travail au Technocentre de Guyancourt (Yvelines) ? C'est dans ce lieu, où sont conçus la plupart des véhicules du constructeur, que deux salariés se sont suicidés, tandis qu'un autre s'est donné la mort à son domicile, entre octobre 2006 et février 2007.
Chronologie :
20 OCTOBRE 2006 :un salarié de 39 ans se donne la mort au Technocentre de Guyancourt (Yvelines). Ce suicide a été classé accident du travail. En septembre 2004, un salarié d'un prestataire de services de Renault, et en juillet 2005, un salarié de Renault avaient tenté de se suicider au Technocentre.
22 JANVIER 2007 :un technicien de 44 ans se donne la mort sur les abords du site de Guyancourt.
16 FÉVRIER :suicide d'un salarié du Technocentre à son domicile. Dans une lettre, il explique ses difficultés au travail.
16 MARS :un plan de soutien demandé par Carlos Ghosn, le patron de Renault, est lancé. Une nouvelle organisation est mise en place et un budget de 10 millions d'euros est alloué.
24 SEPTEMBRE :un technicien de maintenance du site d'Aubevoye (Eure), en arrêt-maladie, se suicide chez lui.
26 SEPTEMBRE :Renault met en place un plan de maîtrise du temps de travail.
Réalisé par le cabinet d'expertise Technologia, ce rapport de 150 pages a été remis jeudi 18 octobre au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de "la ruche", le lieu où sont regroupés les bureaux d'études. Plus de 5 800 des 9 257 salariés interrogés (soit 62,7 %, la moitié étant ingénieurs et cadres) ont accepté de répondre à une centaine de questions et 120 entretiens individuels ont été réalisés.
Les conclusions du rapport sont jugées "accablantes" pour le syndicat SUD et "édifiantes" pour la CGT. Selon Technologia, avec un taux de 31,2 % des salariés (cadres et ingénieurs) sous tension, le niveau de risques psychosociaux "est particulièrement élevé". Selon l'Inserm, ce chiffre est de 10,30 % pour cette catégorie dans la population française.
Pour Bernard Ollivier, directeur du Technocentre, ce chiffre est à prendre avec prudence : "Selon notre observatoire du stress, 18 % des salariés se sont déclarés stressés en 2006." Néanmoins, il se dit prêt à mettre en place "une instance de suivi" pour ces salariés.
La direction de Renault préfère insister sur le fait que deux tiers de personnes sont satisfaites de leur situation professionnelle et que 74 % estiment que les conditions de travail dans lesquelles ils exercent leur activité professionnelle sont plutôt bonnes. Ce chiffre tombe à 43,9 % pour les salariés sous tension.
Le cabinet souligne que ces situations de tension sont "fortement liées au manque de reconnaissance". Celui-ci tient notamment à "un déficit de soutien dans les situations difficiles", mais aussi "à des perspectives de promotion limitées". Le niveau global de motivation est assez faible : la moitié des salariés estiment aller au travail avec "moins d'enthousiasme qu'avant". Chez les salariés sous tension, "cette proportion atteint 71 %. Ils ont le sentiment d'une perte de sens au travail".
Principales contraintes évoquées par les salariés : le manque d'informations claires, de temps et d'effectifs. "Dans la pratique, mes horaires sont 8 heures-20 heures au bureau, travail à la maison de 22 heures à minuit, voire 1 heure du matin. Ce n'est évidemment pas par plaisir que je fais cela mais parce que c'est la seule façon d'assurer ma fonction", témoigne un chef de projet.
"ILS RATTRAPENT LE TRAVAIL CHEZ EUX"
Plus des deux tiers des salariés estiment travailler quotidiennement plus de 9 heures. Pour 87,5 % des cadres dirigeants, c'est plus de 10 heures par jour. "On est face à une cascade : ce qui est imposé est infaisable dans les délais impartis. Bien qu'ils soient attachés à leur travail, les salariés n'osent pas dire qu'ils n'y arrivent pas, car ils auraient alors le sentiment d'être des incapables, alors ils rattrapent le travail chez eux", analyse Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche à l'Inserm et spécialiste des questions de santé au travail.
"Je supporte très bien de travailler 12 heures lorsqu'il s'agit d'une surcharge passagère. Ce temps étant devenu quotidien depuis longtemps, je n'ai plus la capacité d'absorption des surcharges qui nécessiteraient de passer à 14 ou 16 heures", explique un responsable d'unité de conception.
Cette situation ne date pas d'hier, soulignent les syndicats, mais le plan 2009 lancé par Carlos Ghosn, le patron de Renault, n'arrange pas les choses. Le Technocentre doit sortir 26 nouveaux modèles, soit huit par an, contre quatre auparavant. "En 1993, il a fallu 54 mois pour concevoir et produire la Laguna I, la Laguna III (est sortie) en 26 mois et le délai sera encore réduit pour la nouvelle Mégane", note Technologia. Le cabinet souligne néanmoins une "forte adhésion des salariés du Technocentre aux objectifs du contrat 2009".
Pour répondre aux difficultés de ses salariés, la direction a pris des mesures. Elle s'est engagée à embaucher 350 CDI et 200 intérimaires et a lancé un plan de maîtrise du temps de travail (Le Monde du 29 septembre). "Nous mettons des briques les unes à côté des autres et l'ensemble permettra l'amélioration des conditions de vie", soutient M. Ollivier. "Le diagnostic de Renault recoupe largement celui de notre mission, conclut Technologia. Les mesures prises apparaissent significatives et bien orientées en ce sens qu'elles attaquent de front les problèmes révélés par le diagnostic de la situation avec des mesures fortes."
Pour remettre un peu de convivialité, Renault a décidé d'organiser une "journée de l'équipe" les 8 et 9 novembre. Certains salariés restent sceptiques. " La convivialité, ça ne se décrète pas !", conclut Vincent Neveu, délégué CGT.
Le Monde .
France Telecom , Renault ... Le medecin avec qui je travaillais y a fait 5 mois et a préféré démissionner quand il a vu que personne ne tenait compte de ses alertes a répétition !!!! Alors parler de convivialité me fait sourire tristement la!!!