Après 62 ans de travail, Bernard Deroitte a pris une retraite bien méritée. Pour fêter ça, famille et ex-employés lui avaient organisé une belle fête, chez lui à Échinghen. Un 13 mai. Le même jour, il y a pile poil 50 ans, il fondait Deroitte transports avec un seul petit camion-benne.
Et l'histoire commençait.
PAR SYLVAIN LIRON
boulogne@lavoixdunord.fr PHOTO « LA VOIX »
On s'est d'abord demandé où était la faute de frappe dans le mail. Comment pouvait-on prendre sa retraite après 62 ans de travail ?
Pourtant, on a du se rendre à l'évidence, il n'y avait pas de loup dans la bergerie. Bernard Deroitte nous reçoit gentiment, à l'écart du repas organisé en son honneur. Sa démarche fatiguée témoigne qu'il ne s'est rarement tourné les pouces. « On pouvait le joindre jour et nuit, il rappelait dans les dix minutes », témoigne un ex-employé. « Même en vacances », s'amuse Jeannine, sa femme.
« Ce n'était pas un bureaucrate, explique un autre. Il était très présent et mieux ne valait pas rester les mains dans les poches. »
Un réfrigérateurou des pneus ?
Sa vie est dédiée au travail. Après avoir quitté l'école à 15 ans, car ses parents ne pouvaient pas payer l'internat, il se lance dans les camions.
Chauffeur, mécanicien, il touche à tout avant de débuter dans le business après la guerre d'Algérie, en 1961. Un 13 mai. Comme hier. Comme la date anniversaire de l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle en 1958. Le général, il pourrait en parler des heures. « Comme patron, j'appliquais ses préceptes. Un tiers pour les profits, un tiers pour les salariés, un tiers pour les investissements. » Hier, la présence en nombre de ses anciens chauffeurs sonnait comme un remerciement. Dans son salon, une montagne de photos peu banale occupe fièrement le mur du fond. Une sélection de ses plus beaux camions, souvenirs de 31 années où il a tout assumé, de transporteur à concessionnaire en passant par déménageur. Rien n'était jamais assez beau pour ses grosses bêtes. Sa femme se souvient qu'un jour, en rentrant, il trouve un réfrigérateur à la maison. « Mais pourquoi as-tu acheté ça,lui demande-t-il. Avec cet argent, j'aurais pu me payer deux pneus de plus ! »
Gaulliste de toujours
Avant de vendre en 1992 et de se consacrer à sa SCI, il avait senti le vent tourner. « L'Europe, les frontières, il faut mettre des garde-fous tant que tout le monde n'aura pas la même protection sociale. Moi, je donnais 300 F par jour à mes chauffeurs pour leurs frais. On a eu les Belges puis les Espagnols qui se contentaient d'un casse-croûte. Et maintenant les Lituaniens... » En cette période d'élections, ne le cherchez pas dans un camp. Lui est resté simplement gaulliste. « Le problème, c'est l'argent. Quand Mitterrand est arrivé, j'étais moins inquiet que certains de mes chauffeurs. Tant que les banques n'auront pas confiance pour prêter aux entreprises, ça ne s'arrangera pas. » La retraite, « même si on n'y croît pas vraiment », souligne sa femme, doit lui permettre de se reposer en paix, sur ses terres. « Si j'avais eu les moyens, jeune, j'aurais aimé être paysan. Mais acheter un camion, c'était plus dans mes moyens. »Avant de boucler la boucle, il vient de racheter un karting avec sa SCI. Inextinguible passion d'entreprendre. À ses enfants Hervé et Anne-Sophie d'entretenir l'héritage. •
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Un patron à l'ancienne ça comme il ne doit plus y en avoir beaucoup dans le pays.