1663
Bardouville 76056 La légende du Corset Rouge.
Récit de l’Abbé Etienne Ecrit d’après un manuscrit de La Tour de Londres
En l’année 1068, le sire Bertrand de Bardouville, noble chevalier qui avait servi le Roi Guillaume dans la glorieuse expédition d’Angleterre, revint et s’installa au château qu’il tenait de ses ancêtres et qui était voisin de notre sainte maison. Il n’était bruit que des richesses qu’il avait rapportées d’Outre-mer et dont resplendissait sa demeure. Il s’allia bientôt à une puissante famille de la province: la belle Yolaine de Montigny devint châtelaine de Bardouville, mit de l’ordre au milieu de toutes ces profusions et de la décence parmi les nombreux domestiques qu’un homme de guerre n’avait pas tenus jusque là bien sévèrement. J’étais déjà, quoique jeune encore, en possession de la crosse que Dieu a daigné remettre à mes faibles mains. Je pus alors me rendre quelquefois chez notre noble et opulent voisin accompagné des plus distingués parmi nos dignitaires. La barque du pêcheur nous déposait au pied d’un sentier qui communique aux fossés du donjon, et, par une poterne, nous étions introduits auprès des nobles hôtes. Hors une certaine brusquerie qui sied assez à un brave militaire, je ne remarquai jamais chez le sire Bertrand que courtoisie et aménité.
Sa passion pour une jeune et belle épousée était extrême, mais ne pouvait surprendre - c’eut été sa froideur qui aurait surpris - . Elle, prévenante pour tous, conservait néanmoins une parfaite dignité. Le premier fruit de cette union, jusque là heureuse, fut un garçon, que je baptisai du glorieux nom de notre Roi, le jour même du départ de sire Bertrand pour l’Angleterre où il avait à prendre possession des immenses domaines, récompense de sa valeur.
Nous avions en ce temps là, pour procureur de l’Abbaye Don Raphaël Capelli, italien, d’une famille noble du Milanais. Ce digne religieux je dirais ce saint homme encore bien que l’affreuse calomnie se soit attachée à sa mémoire, joignait aux vertus de son état de profondes connaissances; il avait été célèbre médecin dans sa patrie avant de prendre notre habit. J’aimais à citer son grand savoir et la belle châtelaine avait souvent réclamé son assistance pour ses domestiques ou ses vassaux malades.
Un jour, Madame Yolaine avait envoyé un de ses serviteurs réclamer les secours de notre digne procureur; son fils, le seul héritier de cette puissante maison, enfant superbe mais sanguin, comme toute la race normande, était attaqué d’affreuses convulsions. Don Capelli se rend en toute hâte au noble manoir et il est assez heureux pour administrer des remèdes qui mettent le noble enfant hors de danger; mais d’autres crises se présentent, d’autres furent à redouter. Une heure était nécessaire au messager pour gagner le monastère, une autre heure se passait avant que le médecin fut auprès du petit malade. La sollicitude d’une mère eut bientôt trouvé le moyen d’abréger de moitié sa cruelle attente. Le malheureux corset fut indiqué comme signal, il fut aussi la cause des infâmes calomnies qui eurent un si déplorable résultat.
Les nautonniers, naturellement observateurs, étant peu occupés pendant cette calme navigation, remarquèrent le signal. Le Malin Esprit leur inspira une coupable pensée qui, après vingt-six ans de la plus cruelle catastrophe, ne s’est point effacé et ne s’effacera peut-être jamais.
Le sire Bertrand revenait une seconde fois vers les lieux qui l’avaient vu naître, et l’espérance d’embrasser son fils et son épouse absorbait toutes ses pensées. Un sentiment vague de jalousie inséparable de tout violent amour le glaçait quelquefois, sans qu’il eut pour appui aucune circonstance raisonnable. Il avait pris terre au petit port de Harfleur et avait gagné Caudebec avec les chevaux qu’il ramenait de la Grande-Bretagne. Le désir de revoir plus tôt sa Yolaine et son fils le décide à s’embarquer sur une nef qui remontait le fleuve à l’aide d’une forte marée d’équinoxe. Il s’embarque, accompagné d’un seul écuyer sans se faire connaître, fatale précaution qui devait avoir de bien tristes suites. La nef était couverte de voyageurs qui se rendaient à Rouen pour la Foire St-Romain et la cérémonie du meurtrier délivré.
Les propos de ces passagers ne connurent point de bornes. Il sut que dans l’esprit des hommes de cette contrée, que pour ses vassaux et pour tout ce qui connaissait sa noble maison, Yolaine, sa Yolaine était dégradée et lui, le but des plus outrageants propos. S’il n’avait touché au port qu’il avait espéré avec tant d’impatience, qu’il atteignait avec un poignard dans le cœur, il aurait en deux coups de sa bonne épée balayé le pont du navire et appris à ces manants le respect qu’ils devaient à son nom, mais la nef s’arrêta sous le château pour y charger quelques marchandises. Il sauta sur le rivage; les derniers mots qu’il entendit lui firent savoir qu’on apercevait le corset rouge, qui pour ces langues de vipères était le signal de sa honte.
Si un simple bourgeois, si le moindre des vilains est dans une circonstance aussi affreuse, capable des plus terribles déterminations, qu’on juge des convulsions d’une âme d’acier comme était celle du compagnon, de l’ami du Conquérant. Il monte avec rapidité le sentier tortueux, sans savoir ce qu’il va faire, atteint le fossé. De son poing formidable il frappe violemment la porte qu’on ouvrait d’ordinaire à ce signal. Elle cède, tirée de l’intérieur. Un homme se dessine dans l’obscurité, c’est le malheureux Capelli que la fatalité expose ainsi à une mort certaine. Le chevalier le crible des coups de son poignard. Il monte ensuite, chasse domestiques et suivantes et reste seul avec la malheureuse Yolaine.
Ce qui arriva, nul ne peut le dire. On entendit de grands cris, des trépignements; cela dura une partie de la nuit, puis après, rien, pas un souffle. Le matin quelques-uns des plus hardis serviteurs entrèrent et trouvèrent les tables et les escabelles cassées, comme si de lourds marteaux les avaient frappées. On supposa que dans sa fureur même, le chevalier avait précipité la malheureuse châtelaine dans le puits de la tour. On croyait même apercevoir des traces de sang sur les feuilles qui tapissaient l’intérieur de la margelle, mais d’autres traces de sang n’ont point été remarquées, et le puits visité peu après n’a présenté aucun vestige humain.
Les deux familles s’assemblèrent pour donner au jeune Guillaume un conseil de tutelle. J’en fis partie. Son éducation fut confiée à mes soins. Il est maintenant père d’une belle et nombreuse famille et l’un des bienfaiteurs de notre sainte institution. Si l’on me demande ce que sont devenus les auteurs de son existence, je dirai que je n’en sais rien. Si l’on désire connaître les conjectures que j’ai pu faire, je me contenterai de rapporter la circonstance qui les a fait naître, chacun pourra l’interpréter. Trois ans après l’affreuse catastrophe, un pèlerin qui arrivait de la Syrie, demanda asile au monastère. Il me confia en partant deux boites avec prière de ne les ouvrir que dix jours après son départ. Sa volonté fut suivie et nous trouvâmes le onzième jour dans l’une, qui était bien lourde, un magnifique reliquaire contenant un morceau de la vraie croix, dans une autre, petite et légère, un rubis de grand prix, avec ces mots sans signature: «Vos prières, mes Pères pour le malheureux Capelli
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LA DAME VERTE
LA DAME VERTE
Dame verte, c'est la sylphide, la déesse, la fée des prairies de Franche-Comté : elle est belle et gracieuse ; elle a la taille mince et légère, comme une tige de bouleau, les épaules blanches comme la neige des montagnes, et les yeux bleus comme la source des rochers. Les marguerites des champs lui sourient quand elle passe ; les rameaux d'arbres l'effleurent avec un frémissement de joie, car elle est la déesse bien-aimée des arbres et des fleurs, des collines et des vallées. Son regard ranime la nature comme un doux soleil, et son sourire est comme le sourire du printemps.
Le jour, elle s'assoit entre les frais taillis, tressant des couronnes de fleurs, ou peignant ses blonds cheveux avec un peigne d'or, ou rêvant sur son lit de mousse au beau jeune homme qu'elle a rencontré. La nuit, elle assemble ses compagnes ; et toutes s'en vont, folâtres et légères, danser aux rayons de la lune, et chanter. Le voyageur qui s'est trouvé égaré le soir au milieu des montagnes de Franche-Comté a souvent été surpris d'entendre tout à coup des voix aériennes, une musique harmonieuse, qui ne ressemblait à rien de ce qu'on entend habituellement dans le monde : c'étaient les chants de la Dame verte et de ses compagnes.
Quelquefois aussi les malines sylphides égarent à dessein le jeune paysan qu'elles aiment, afin de l'attirer dans leur cercle, et de danser avec lui. Que si alors il pouvait s'emparer du petit soulier de verre d'une de ces jolies Cendrillon, il serait assez riche ; car, pour pouvoir continuer de danser avec ses compagnes, il faudrait qu'elle rachetât son soulier, et elle l'achèterait à tout prix.
L'hiver, la Dame verte habite dans ces grottes de rochers, où les géologues, avec leur malheureuse science, ne voient que des pierres et des stalactites, qui sont pourtant toutes pleines de rubis et de diamants dont la fée dérobe l'éclat à nos regards profanes. C'est là que, la nuit, les fêtes recommencent à la lueur de mille flambeaux, au milieu des parois de cristal et des colonnes d'agate. C'est là que la Dame verte emmène, comme une autre Armide, le chevalier qu'elle s'est choisi. Heureux l'homme qu'elle aime ! C'est pour cet être privilégié qu'elle a de douces paroles, et des regards ardents, et des secrets magiques ; c'est pour lui qu'elle use de toute sa beauté de femme, de tout son pouvoir de fée, de tout ce qui lui appartient sur la terre.
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LES 7 FEES DU MIROIR AUX FEES
Il était alors sept fées,
sept sœurs toutes jeunes puisque l’aînée avait à peine 350 ans.
Elles aussi ont pris leur envol en quête d’un lieu
où vivre à l’abri du regard des hommes.
Elles ne sont pas allées bien loin, car au cœur de la forêt,
elles ont découvert une vallée paisible, que seuls le cri des bêtes,
le chant des oiseaux et le vif gargouillis du Rauco animaient.
Au bout de la vallée, ce ruisseau s’évasait pour former un petit étang.
C ‘est là qu’elles ont décidé de se retirer,
et sous les eaux de l’étang elles ont bâti leur demeure.
La maison terminée, elles se sont réunies et, levant chacune leur main droite,
elles ont fait le serment solennel qu’à partir de ce jour
plus jamais elles ne se montreraient aux hommes, jamais.
Et c’est ce qui s’est passé.
Pour ne pas être surprises par les errances d’un bûcheron
ou d’un promeneur, elles restaient tout le jour au fond de l’eau ;
et ce n’est qu’à la nuit venue qu’elles sortaient prendre l’air,
cueillir les herbes exigées par leurs magies, et pour apprendre encore.
Car chacune avait sa spécialité, sa curiosité.
L’aînée étudiait le pouvoir des plantes, l’autre lisait les étoiles dans la nuit,
la troisième scrutait la roche,
une autre parlait des heures durant à tous les êtres visibles ou invisibles,
la cinquième se plongeait dans l’infiniment petit qui est en toute chose,
la sixième cherchait dans l’eau quelques traces de la mémoire du monde…
La septième, la plus jeune, était si vive et si curieuse
qu’elle voulait tout connaître ,tout savoir.
Aussi, chaque soir, elle suivait l’une ou l’autre de ses sœurs
et partageait chacun de leurs secrets.
C’était donc aussi la plus puissante en magie.
Longtemps, elles vécurent tranquilles dans la vallée.
Cent, deux cents, trois cents…
mille ans ont passé sans que jamais aucun homme ne se doute de leur présence.
Mais, au bout d’un millénaire,
la plus jeune des fées autrefois si vivre devenait morose.
Elle ne disait plus un mot. Elle s’ennuyait :
tous les jours, enfermée. Souvent pour tromper l’ennui,
elle se promenait étendue sur le dos, là, juste sous la surface de l’eau,
profitant ainsi des rayons du soleil.
Un jour qu’elle nageait ainsi entre deux eaux,
elle entendit résonner un bruit inconnu.
C’était comme un pas, très lourd, mêlant au son de la corne
celui du métal raclant la roche. Et cela s’était arrêté au bord de l’étang.
Alors, elle a filé jusqu’à la rive ; et là, juste au-dessus d’elle,
elle a vu la tête d’un cheval qui s’abreuvait.
Puis son petit cœur de fée s’est mis à battre, car là, juste au-dessus d’elle,
un homme se penchait pour se rafraîchir.
« Un homme ? pensa-t-elle. Mille ans qu’elle n’en avait pas croisé. »
Que deviennent-ils ? Se font-ils encore la guerre ?
Quelles nouvelles inventions géniales ? Qui règne sur le monde des hommes ? »
Et il y a ce mystère, certaines fées prétendent :
« Les hommes ont un étrange pouvoir. Ils ne sont pas magiciens, non.
Et pourtant le plus humble d’entre eux peut tenir la plus puissante des fées
à jamais prisonnière à ses côtés ».
Mille questions lui brûlent les lèvres…
Et, bravant le serment, elle jaillit de l’onde et lui apparaît.
Le jeune homme reste un moment bouche bée.
Ebahi par tant de grâce et de beauté réunies, il est sous le charme.
La fée, de son côté, le trouve bien de sa personne, sans doute un gentilhomme,
habillé pour la chasse, il a fière allure.
Tout le reste du jour elle va le questionner, parcourant avec lui toute la vallée,
lui tâchant de lui répondre au mieux et toujours avec grande courtoisie.
Le temps va filler et ce n’est qu’en fin d’après-midi qu’ils rejoignent l’étang.
A cet instant, la jeune fée réalise :
le soleil est déjà bas dans le ciel et la nuit va venir :
« Tu ne dois pas rester là, va- t‘en vite ! »
Et le jeune homme, docile, enfourche et talonne sa monture.
Le regardant partir, la fée se ravise :
« Attends ! Reviens demain, même heure, même lieu ! »
D’un signe de la tête il lui répond. Bien sûr qu’il sera là demain.
Il n’a plus qu’elle en tête.
Alors elle retourne au fond de l’étang. Il était temps.
Déjà ses sœurs s’apprêtent pour la nuit.
Ses sœurs s’étonnent de la voir rentrer toute guillerette, chantonnant,
embrassant le front de l’une, offrant une fleur de nénuphar à une autre.
Elle semble soudain pleine de joie.
Fatiguée par sa longue marche, la jeune fée s’allonge un instant.
Fermant les yeux pour retrouver les images de ce jour, elle s’assoupit.
« Il s’est passé quelque chose » pensent ensemble les six sœurs.
Aussi, elles forment le cercle et de leurs magies conjuguées,
elles lisent dans l’esprit de la cadette. Et elles découvrent l’horrible vérité :
« Elle a rompu le serment et, de plus, a laissé cet homme repartir vivant.
Il va prévenir les siens. C’en est fini de notre tranquillité.
Il nous faut agir ! » Et, reformant le cercle,
elles endorment la jeune fée pour tout un jour.
Le lendemain matin, le gentilhomme est de retour.
Il a mis ses plus beaux habits et n’a qu’une hâte :
la revoir. Mais ce n’est pas sa belle fée qui l’accueille.
Sortant de l’ombre, jaillissant de l’eau, tombant des branches basses,
ce sont les six sœurs qui se jettent sur le malheureux.
Cinq d’entre elles le plaquent au sol, tandis que l’aînée, de ses mains,
l’étrangle, le tue. Leur sale besogne accomplie,
elles s’en retournent au fond de l’eau.
Ce n’est qu’à l’extrême fin du jour que la jeune fée s’éveille.
Tout de suite, à la lumière, elle réalise :
le temps a filé, la nuit tombe déjà, son chevalier !
Elle court, elle nage –on ne sait trop- jusqu’à la berge et découvre
le corps inanimé du jeune homme.
C’est d’abord grande douleur, et, pour la première fois de son existence,
des larmes emplissent ses yeux.
Elle se penche et tend sa main vers le beau visage quand soudain
elle aperçoit les traces des doigts meurtriers sur son cou.
Après la douleur vient la colère, la terrible colère des fées.
« Qui a fait ça ? »
Elle n’a plus qu’une idée en tête venger la mort de cet innocent.
Elle interroge les arbres, les oiseaux « Qui a fait ça ? »
Effrayés, ils finissent par lui dire la vérité :
« Ce sont tes sœurs. Mais toi seule es coupable, tu avais promis… »
Mais déjà elle n’écoute plus. « Ce sont mes sœurs… »
et, les yeux pleins de haine, elle retourne dans leur demeure sous les eaux,
bien décidée à accomplir sa vengeance.
Cette nuit-là, l’étang va bouillonner, la terre va trembler,
tout le val va gronder du vacarme du combat des fées.
Au matin, tout est calme dans la vallée.
Au fond de l’étang, la jeune fée se tient débout devant ses six sœurs pétrifiées,
paralysées par sa puissance.
Sans aucune pitié, elle saisit sa petite serpe et, une à une, elle les égorge.
Oh, ce n’est pas par cruauté, non.
Elle recueille un peu du sang de chacune dedans un bol,
y mêle son propre sang et quelques plants de son secret.
Ensuite, elle court auprès du corps du chevalier.
Entrouvrant ses lèvres, elle verse la portion sanguine dans sa gorge.
La poitrine du jeune homme se gonfle, puis ses yeux s’ouvrent à la vie.
Alors elle l’embrasse, de toutes ses forces, elle le serre contre son cœur.
Et elle décide d’abandonner ce lieu à jamais maudit,
et d’aller vivre avec lui, femme parmi les hommes.
Et l’histoire pourrait s’arrêter là. Sans doute ils furent heureux.
Sûrement, ils eurent beaucoup d’enfants.
Mais là, au font de l’étang, sont six fées du Petit Peuple qui agonisent.
Et de leur gorge, le sang va couler, couler,
se mêlant aux eaux de l’étang qui va déborder et se répandre.
Sept jours et sept nuits durant, le sang des fées, rampant tel un serpent,
par delà les collines et les bois,
inondant chaque village,
chaque vallée sur des lieues à la ronde va marque à jamais son passage.
C’est pourquoi encore aujourd’hui en Brocéliande,
la roche et la terre sont rouges,
pourpres du sang des six fées de ce petit étang que l’on nomme le Miroir aux Fées.