Interview, d'un Psychologue Sur Médiapart.
Où situer Nicolas Sarkozy ?
Dans l’instant. C’est la seule temporalité qu’il connaisse. Son quinquennat, comme sa campagne, furent une suite d’événements, de fuites en avant ; d’annonces quotidiennes qui n’engagent à rien et finissent – amnésie médiatique aidant – oubliées dès qu’énoncées. Hollande, a contrario, martelait qu’il avait soixante mesures : on ne savait pas lesquelles, mais on savait qu’il en avait soixante…
Sarkozy, surtout, ne croit pas à ce qu’il dit : la parole n’est que pure tactique. Il s’est persuadé qu’utiliser toute la rhétorique, tout le vocabulaire, toute la langue du Front national, n’aurait pas d’incidence sur la réalité : je fais les poches des Le Pen, je chipe leurs mots, donc j’aurai leur électorat. Tout le lexique y est passé. Les slogans les plus abjects de la fin des années 1980 (« La France, aime-la ou quitte-la ») sont devenus la ritournelle de l’UMP au printemps 2012.
Résultat : il nous faudra une décennie pour nous débarrasser des deux semaines de la campagne électorale de Sarkozy sur les étrangers, sur les frontières, sur la viande halal. Il a fait sauter tous les verrous ! Il soutient qu’il n’y a pas de tabous : mais si, il y a des tabous, sinon chacun tue son voisin quand bon lui semble…
La peur du lendemain pèse désormais sur les individus, mais aussi sur la droite, qui va être réorganisée autour de ces fantasmes agités. L’étranger devient comme un objet de rejet national, de déchet, d’expulsion. Un tel remue-ménage m’apparaît, au fond, comme une autorisation à commettre le meurtre de l’autre. Quand le président de la République se lâche ainsi, il légitime la part d’ombre qui tenaille chacun dans un coin de sa tête…
Le futur ne serait-il pour lui qu’un gigantesque « après moi le déluge » ?
Il n’y a même pas d’« après moi ». Il n’y a que l’instant. S’il réfléchissait à l’“après”, peut-être son “maintenant” n’aurait-il pas été celui qu’il nous a infligé…
Que traduit son “présentisme” ?
Quelque chose de très narcissique, de très lié au miroir. Dans son obsession du duel, nous retrouvons le stade du miroir : ce moment où l’enfant ramasse ses morceaux grâce à l’image qui lui est renvoyée. Cette « assomption jubilatoire » (Lacan) pose problème quand elle est déployée dans le champ social, alors que la parole ne vient pas médiatiser ce rapport à l’autre des premières identifications. Voilà pour la théorie. Or si vous prenez le paradigme du duel, vous êtes prédictif à 95 % du comportement de Nicolas Sarkozy comme homme politique.
Mais son narcissisme l’empêchait de produire du politique. Il versait dans le petit sensationnel intime (« Carla et moi, c’est du sérieux »)…
«L'école des fans», 1984.
Examinez sa manière de désirer Cécilia au moment même où il la marie à Jacques Martin : il est maire de Neuilly, ceint de l’écharpe tricolore, officier d’état civil. Et il se montre incapable de s’en tenir à cette place symbolique, hors commerce sexuel par excellence : cet homme a toujours cherché les places symboliques, en vue de les vider de leur substance symbolique ! Pour les subvertir. Cela s’appelle la perversion…
D’où son badinage lors de la remise du prix Charlemagne à Angela Merkel, dont il taquine le mari : « La presse parle beaucoup de notre couple »…
Oui, les exemples abondent. Dans un autre ordre d’idée, souvenez-vous de cette audience au Vatican, où, se sachant pourtant filmé – la communication ne lui est pas étrangère –, il reçoit et envoie des SMS. Lui qui se dit catholique, il casse alors allègrement le cadre symbolique auquel il est supposé être soumis…
Laisse-t-il un champ de ruines ?
En habile dialecticien, il a picoré des références dans tous les champs pour bricoler ses discours, mais il laisse effectivement un désastre intellectuel et doctrinal pour la droite, en l’ayant convertie à la seule poursuite du Front national, en toute divagation : on a pu entendre à la fois qu’il fallait expulser les Roms et qu’il ne fallait pas avoir peur des étrangers. En comparaison, François Hollande propose des repères cohérents : Jules Ferry, Marie Curie.
Nicolas Sarkozy se défie de la cohésion…
Il est dans le dialogue direct avec tout un chacun non médiatisé par un tiers : c’est du populisme. Il suffit de savoir dire les mots qu’il faut pour se faire entendre, donc élire.
François Hollande sera son antithèse : lui sait ce qu’est la force d’un collectif (contrairement à Ségolène Royal qui avait fait campagne contre l’appareil du PS). Lui sait ne pas sortir des bornes du champ dont il se réclame. Il sait ce qu’est une autorité symbolique et il se placera sous une telle tutelle. François Hollande est banalement névrosé. Ça va nous changer. Nous allons respirer, dans la mesure où, précédemment, chacun d’entre nous était sommé de rétablir l’activité symbolique que Sarkozy détruisait. Nous avons eu un quinquennat éreintant !