Le nom est prédestiné. Le petit motel d’une périphérie industrielle madrilène où Léster González, Cubain de 33 ans, a atterri avec sa jeune fiancée mardi s’appelle simplement Welcome. Boulanger-pâtissier de formation, cet autodidacte appartient au «groupe des 75», ces intellectuels, activistes et journalistes cubains raflés en 2003 lors d’un nouveau durcissement du régime. Lui venait d’avoir 26 ans.
«Police». Quelques années plus tôt, il avait troqué ses fourneaux pour un stylo et un micro. «Je travaillais avant dans un grand hôtel où j’osais critiquer ouvertement le régime. Alors on m’a renvoyé», raconte t il. Cette carrière tronquée lui laisse un goût amer d’injustice. Il rencontre alors des opposants et se lance peu à peu dans le journalisme en collaborant avec plusieurs sites et radios, dont certains sont basés en Floride chez les Cubains en exil. «La police m’arrêtait plusieurs fois par semaine et me menaçait. Puis finalement j’ai été emprisonné et, après une parodie de procédure, ils m’ont collé vingt ans.» C’était le 18 mars 2003.
«Aujourd’hui, j’exprime à travers ce journal écrit en prison toute ma souffrance. Je suis condamné à vingt ans simplement pour avoir aimé la liberté.» Sur le perron du Welcome, Léster González lit d’une voix monocorde la première des 300 pages manuscrites de son journal de prison. «Ma famille arrivait à me faire passer des feuilles de papier, et j’écrivais presque tous les jours, mais dès qu’ils les trouvaient les matons les détruisaient, alors de mémoire j’écrivais à nouveau», raconte le dissident qui a néanmoins réussi à cacher les feuilles dans sa cellule. Cette routine de l’écriture quotidienne pour ne pas craquer, ni oublier, il l’a maintenue pendant sept ans, jusqu’à ce que, il y a une semaine à peine, on lui annonce qu’il pouvait être libéré s’il choisissait l’exil. Ainsi lui et sa fiancée, Misladis, 26 ans, sont arrivés avec six autres dissidents cubains et leurs familles, dans ce petit hôtel utilisé par la Croix-Rouge pour loger provisoirement sans-papiers et réfugiés.
«Tout est allé très vite», murmure la frêle brune aux yeux noirs. Le couple s’est connu il y a à peine un an, lors d’une permission de sortie de Léster passée dans sa ville natale de Santa Clara, au centre du pays. Ils se sont croisés dans un parc. «Je ne savais pas que c’était un prisonnier politique», se souvient-elle. Mais elle l’a rapidement appris : Son permis prenait fin peu après leur rencontre.«Il m’a expliqué, je l’ai compris, et je suis tombée amoureuse.» Pendant un an, elle a traversé l’île pour lui rendre visite, autorisée à le voir seulement une fois tous les trois mois. Jusqu’à ce départ inespéré, mais lourd de déchirements. Léster et Misladis ont chacun dû laisser une petite fille, Lorena et Claudia, nées de relations antérieures.
La mère de Claudia a rompu avec Léster après son premier mois de prison. «Elle subissait de terribles pressions et m’a dit lors d’une visite que c’était fini. C’est comme si pour moi le ciel s’effondrait», se souvient Léster qui d’un coup se retrouvait seul. Un cas rare parmi les dissidents emprisonnés.
Lors de la première conférence de presse à Madrid de six des sept dissidents cubains exilés - l’économiste Antonio Villareal, 59 ans, a préféré ne pas comparaître devant les médias, trop affecté par ses années de prison -, une petite dizaine de femmes, mères, sœurs ou épouses, les écoutaient au premier rang, toutes vêtues de blanc. Comme là-bas, quand chaque mois elles défilaient dans le vieux centre de La Havane, défiant le régime pour attirer l’attention sur le sort de leurs proches. «Beaucoup se demandent comment nous avons pu résister à des conditions aussi inhumaines. C’est grâce au soutien de ces femmes», explique Ricardo González, 60 ans et ancien correspondant de Reporters sans frontières sur l’île.
Léster n’a pas pu compter sur un tel soutien. Ce furent cinq longues années de «solitude totale». Mais il a eu la chance de se retrouver près des cellules d’autres membres «des 75». «Ils m’ont beaucoup aidé au début, lorsque tout d’un coup je me suis retrouvé condamné à vingt ans de prison, à 300 kilomètres de ma famille, dans un quartier de haute sécurité où l’on envoie les assassins», raconte le dissident. Il y a moins de dix jours, il vivait encore dans sa cellule d’1,80 m sur 1,20 m : «Quand il pleuvait, les toilettes débordaient, et je devais grimper sur le matelas pour échapper à ce flot nauséabond.» L’un de ses compagnons d’exil, le journaliste Normando Hernández, dénonce avec encore plus de véhémence les conditions sordides de détention et les mauvais traitements : «Certains prisonniers s’enfouissent dans des matelas fourrés de plumes et s’immolent. D’autres s’injectent de l’essence pour pouvoir aller voir le médecin. C’est ça le plus grave, la perte des valeurs humaines.» Léster, comme ses compagnons, s’inquiète aujourd’hui du sort de ceux qui sont encore détenus. Deux autres dissidents ont atterri à Madrid peu après eux, et une vingtaine en tout devraient prendre l’avion vers l’Espagne. «Pourquoi le gouvernement cubain ne les a-t-il pas encore libérés ? Il suffit juste de leur ouvrir les portes. Et pourquoi nous qui avons opté pour l’exil avons dû renoncer à revoir notre maison ?»
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Ce n'est pas mauvais de rappeler qu'en 2010 il y a des hommes qui peuvent être enfermé pendant des années voir des décennies simplement à cause de leurs idées.
On ne se souviens jamais assez en France l'importance de la liberté de pensée et parmi ceux qui pense que la démocratie est menacée en France ferait bien d'aller voir comme ça ce passe dans l'un des pires endroits de communisme dans le monde.