par Loupolo Ven 26 Avr 2024 - 16:58
Extrait de l'Antipresse nr 438 - ’Ariane Bilheran : "La machine à désincarner"
Que se produit-il lorsqu’une philosophe, armée de bonnes lectures, se retrouve prise dans une fouille abusive — et pourtant ordinaire — dans un aéroport? Il en résulte une méditation profonde sur la servitude volontaire qui accompagne la modernité comme son ombre…
Lors d’un voyage international récent, j’ai vécu une scène devenue habituelle à notre époque, et pourtant digne d’anthologie. À l’entrée de l’avion, dans le couloir, nous, les voyageurs, fûmes séparés en deux rangées, les hommes à gauche, et les femmes à droite. La police des frontières nous demanda de mettre nos bagages de cabines dans une file au milieu de ce couloir.
Chaque visage faisait face au mur, et nous avons, individuellement, subi une fouille au corps de dos, très poussée. Plus poussée pour les femmes que pour les hommes, fit d’ailleurs remarquer un Français non loin de moi. Pendant ce temps, des bergers allemands venaient renifler les bagages avec des entraîneurs très zélés. Le pire était que les gens levaient les bras d’eux-mêmes, comme dans les films, anticipant la soumission requise d’eux.
Il s’agissait de débusquer une éventuelle drogue sur les voyageurs, et ce, pourtant, après les innombrables contrôles qui encadrent les vols internationaux.
J’écoutais les commentaires des Français… Ils trouvaient l’expérience «intéressante», avant de constater, tout de même, qu’il y avait comme un arrière-goût de
deuxième guerre mondiale, avec les chiens renifleurs surtout… Et tout ce cirque, pour quoi? Quelques éventuels grammes de drogue sur un quidam, alors que nous savons que ce sont des tonnes et des tonnes qui circulent par le trafic international.
Au vu de la complaisance des gens à se plier de manière stéréotypée à ce contrôle, sans aucune trace ne serait-ce que d’un désaveu, le constat s’est imposé à moi: nous sommes bel et bien passés dans un monde où n’importe qui est un criminel potentiel et traité comme tel. Un monde où il y a les criminels autorisés, et les autres.