LA FAMILLE DU PETIT NICOLAS X AFFRONTE L’HIVER SUR FOND DE PÉNURIES. FICTION.
Il est dix-sept heures. Le petit Nicolas est rentré de l’école. Sa maman s’affaire dans la cuisine.
— Dis, maman, t’es déjà rentrée du travail? D’habitude tu reviens qu’à sept heures, et encore. T’as été virée?
— Non, rassure-toi; mon patron nous a renvoyés chez nous pour une semaine, voire plus. Il ne peut plus payer ses factures. L’électricité est trop chère. Et il y a des coupures.
— J’entends ronfler dans la chambre; mamie est venue passer des vacances chez nous?
— Non, c’est ton père. Dans sa boîte, c’est pareil; mais là c’est le gaz. On le leur a coupé. Il est au chômage partiel pour quinze jours lui aussi. Comme moi.
— Chouette! Ça va être comme des vacances! Je peux rester avec vous au lieu d’aller à l’école?
— Non! Tu dois y aller. Pense à ton avenir.
— Je comprends pas bien, maman, papa et toi, vous restez à la maison à cause du gaz et de l’électricité, et moi je dois aller à l’école où il fait aussi froid que dehors? En plus, à la cantine, c’est tout froid, et c’est pas bon. Qu’est-ce qu’on mange ce soir?
— Tu vas être déçu. Je suis passée au supermarché, et les rayons étaient quasiment vides. J’ai juste pu avoir du hareng et quelques rutabagas. J’ai ramassé quelques orties dans le parc. Je vais vous faire une bonne soupe.
— Beurk! Dis donc, il fait froid dans la maison.
— Ils ont coupé le gaz et l’électricité jusqu’à vingt heures. Dès que ça revient, je prépare à manger. Pour faire tes devoirs, j’ai trouvé des bougies d’anniversaire. Tu pourras t’éclairer. On ira au lit de bonne heure, ils recoupent tout après.
— Je voudrais goûter, m’man, tu sais où sont passés mes céréales Chocopic?.
— Il n’y en a plus. Tu les as finies hier. Je te l’ai dit, les rayons du supermarché sont vides. Il reste une vieille croûte de pain, étale un peu de margarine dessus. Il n’y a plus de beurre non plus. Il reste un fond de vieux lait au frigo.
— Ben, j’ai plus faim. Pourquoi il n’y a plus à manger, pourquoi on peut plus se chauffer? j’ai peur, maman.
— Pour le gaz, le président en a envoyé aux Allemands qui en manquent. Eux nous ont envoyé de l’électricité, mais pas assez. Aussi on a toutes ces coupures. Et pour se nourrir, c’est difficile car les agriculteurs ont fait de mauvaises récoltes à cause de la sécheresse.
— Ils pouvaient pas arroser?
— Les autorités ont limité les arrosages à cause des nappes phréatiques. Du coup les récoltes sont moindres.
— T’es sûre que c’est la vérité? Y a mon copain Robichon qui m’a dit que c’était de la blague. Son père lui a dit qu’ils envoient tout en Ukraine, et que si le président s’était pas fâché avec les Russes, on en serait pas là.
— Tu sais, il faut bien aider les Ukrainiens. On peut pas laisser faire ça.
— Tu crois? Ça sert à quoi qu’on se gèle et qu’on mange pas? Robichon m’a dit aussi que les Russes s’en fichent pas mal qu’on jeûne et qu’on se gèle. Et puis donner du gaz aux Allemands, c’est pas ceux que papi s’est battu contre eux en 40, même qu’il disait que c’était des sournois. Je comprends pas toujours vos trucs de grands. Un coup on se bat contre eux, et après on les embrasse.
— Tu sais mon petit, les choses ne sont pas toujours aussi simples. Notre président fait ce qu’il peut.
— C’est pas lui qui vous a traité de fainéants, d’alcooliques et de rien du tout? J’aime pas ce type, quand je le vois à la télé, j’ai peur. Quand je serai grand, je voterai pas pour lui. Robichon a dit que c’était un dingue, pire que Terminator.
—Tu m’énerves, Nicolas, Robichon par- ci, Robichon par- là. D’ailleurs, c’est qui, ce Robichon?
— C’est le fils du monsieur qui s’est présenté contre le maire du parti à Macron aux dernières élections. Il est conseiller municipal. Maman!
— Oui?
— Je pourrais pas aller vivre chez papi et mamie pendant quelque temps. Ils ont un grand jardin où ils récoltent plein de légumes, et leurs poules pondent plein d’œufs. Et ils ont un chauffage au bois.
— Tu veux nous quitter? Pourquoi?
— J’ai faim, j’ai froid.
Pas joyeuse la vie du petit Nicolas des temps modernes.