Économie 28/06/2011 à 00h00
Les marchés de dupe de la grande distribution
Consommation . Un rapport au Parlement décrit les préjudices infligés aux producteurs et clients.
107 réactions
Par CATHERINE MAUSSION, CORALIE SCHAUB
«Je ne désignerai pas de grand méchant, un observatoire ne fait qu’observer…» : Philippe Chalmin, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine et président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, marchait sur des œufs, hier, en présentant son premier rapport au Parlement. N’empêche. Le constat de ce pavé de 240 pages est interprété de la façon suivante : ceux qui profitent le plus des fluctuations des prix agricoles ne sont ni les producteurs ni les consommateurs, mais la grande distribution et les industriels de l’agroalimentaire.
Beurre. Exemple frappant, la cerise bigarreau coûte cinq fois plus cher en rayon qu’elle n’a été achetée à l’agriculteur. Autre exemple tiré du rapport et mis en exergue par l’UFC-Que choisir : la marge brute des distributeurs a augmenté en dix ans de 32% pour l’emmental, 50% pour la côte de porc et 100% pour le beurre.
«Ces exemples ne font que confirmer ce que nous constatons à longueur d’enquêtes», explique Olivier Andrault, chargé de mission à l’UFC. Selon lui, les enseignes sont les championnes de «l’effet cliquet» : «Quand les prix agricoles augmentent [entre mai 2007 et mars 2008, ndlr], elles répercutent la hausse, et quand ils descendent [depuis mars 2008, ndlr], elles ne baissent pas ou peu les prix.»
L’association pourfend aussi l’opacité de la grande distribution, «qui se refuse à communiquer sur sa rentabilité produit par produit». Sur la volaille ou le bœuf, dont la filière est complexe et où les marges ont fortement augmenté, «on n’arrive pas à identifier les profiteurs».
En tout cas, ce ne sont pas les acteurs du monde agricole. A l’instar de l’UFC, la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire, voit surtout dans le rapport «une mise en cause de la distribution dont les marges sont rarement écornées, quelle que soit la nature et la gravité de la crise agricole».
Le remède ? Il ne faut pas attendre de l’Observatoire qu’il s’engage sur ce terrain. En revanche, pour l’UFC, il faut «encadrer par la loi les marges des professionnels lors des variations des prix agricoles». La FNSEA réclame l’application immédiate d’un accord dit «du 3 mai», qui préconise la répercussion sur les prix de l’évolution des coûts de production, à la baisse comme à la hausse.
Tout cela n’est pas pour plaire à la distribution, qui est montée au créneau. Au travail laborieux de décorticage des marges auquel s’est attelé le rapport, Jacques Creyssel, le délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), répond : «Il y a une faute grave de raisonnement dans le travail de M. Chalmin.» L’économiste a fondé ses calculs sur les marges brutes. Or, argumente Creyssel, «il fallait travailler sur les marges nettes». C’est-à-dire une fois retirées les charges (personnel, transport et logistique, foncier…). Et de poursuivre : «On découvre alors que le bénéfice net varie, selon les enseignes, entre 1,5 et 1,7% du chiffre d’affaires.» Soit «sur un chariot de 50 euros, moins de 1 euro». Sauf que les distributeurs ont refusé de fournir ces marges nettes. «Faute d’avoir obtenu à temps des engagements de confidentialité», affirme Creyssel.
Vin. Hier, Chalmin a promis qu’il allait tenter de faire la lumière sur les marges nettes. D’élargir aux produits de la mer, au vin et céréales (il ne couvre aujourd’hui que les fruits et légumes, viande bovine et porcine, aviculture et lait). Et de raisonner sur l’ensemble d’un rayon et non sur quelques produits. Sa conclusion : «Pour ça, j’ai besoin de la contribution de la grande distribution.»
Les marchés de dupe de la grande distribution
Consommation . Un rapport au Parlement décrit les préjudices infligés aux producteurs et clients.
107 réactions
Par CATHERINE MAUSSION, CORALIE SCHAUB
«Je ne désignerai pas de grand méchant, un observatoire ne fait qu’observer…» : Philippe Chalmin, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine et président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, marchait sur des œufs, hier, en présentant son premier rapport au Parlement. N’empêche. Le constat de ce pavé de 240 pages est interprété de la façon suivante : ceux qui profitent le plus des fluctuations des prix agricoles ne sont ni les producteurs ni les consommateurs, mais la grande distribution et les industriels de l’agroalimentaire.
Beurre. Exemple frappant, la cerise bigarreau coûte cinq fois plus cher en rayon qu’elle n’a été achetée à l’agriculteur. Autre exemple tiré du rapport et mis en exergue par l’UFC-Que choisir : la marge brute des distributeurs a augmenté en dix ans de 32% pour l’emmental, 50% pour la côte de porc et 100% pour le beurre.
«Ces exemples ne font que confirmer ce que nous constatons à longueur d’enquêtes», explique Olivier Andrault, chargé de mission à l’UFC. Selon lui, les enseignes sont les championnes de «l’effet cliquet» : «Quand les prix agricoles augmentent [entre mai 2007 et mars 2008, ndlr], elles répercutent la hausse, et quand ils descendent [depuis mars 2008, ndlr], elles ne baissent pas ou peu les prix.»
L’association pourfend aussi l’opacité de la grande distribution, «qui se refuse à communiquer sur sa rentabilité produit par produit». Sur la volaille ou le bœuf, dont la filière est complexe et où les marges ont fortement augmenté, «on n’arrive pas à identifier les profiteurs».
En tout cas, ce ne sont pas les acteurs du monde agricole. A l’instar de l’UFC, la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire, voit surtout dans le rapport «une mise en cause de la distribution dont les marges sont rarement écornées, quelle que soit la nature et la gravité de la crise agricole».
Le remède ? Il ne faut pas attendre de l’Observatoire qu’il s’engage sur ce terrain. En revanche, pour l’UFC, il faut «encadrer par la loi les marges des professionnels lors des variations des prix agricoles». La FNSEA réclame l’application immédiate d’un accord dit «du 3 mai», qui préconise la répercussion sur les prix de l’évolution des coûts de production, à la baisse comme à la hausse.
Tout cela n’est pas pour plaire à la distribution, qui est montée au créneau. Au travail laborieux de décorticage des marges auquel s’est attelé le rapport, Jacques Creyssel, le délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), répond : «Il y a une faute grave de raisonnement dans le travail de M. Chalmin.» L’économiste a fondé ses calculs sur les marges brutes. Or, argumente Creyssel, «il fallait travailler sur les marges nettes». C’est-à-dire une fois retirées les charges (personnel, transport et logistique, foncier…). Et de poursuivre : «On découvre alors que le bénéfice net varie, selon les enseignes, entre 1,5 et 1,7% du chiffre d’affaires.» Soit «sur un chariot de 50 euros, moins de 1 euro». Sauf que les distributeurs ont refusé de fournir ces marges nettes. «Faute d’avoir obtenu à temps des engagements de confidentialité», affirme Creyssel.
Vin. Hier, Chalmin a promis qu’il allait tenter de faire la lumière sur les marges nettes. D’élargir aux produits de la mer, au vin et céréales (il ne couvre aujourd’hui que les fruits et légumes, viande bovine et porcine, aviculture et lait). Et de raisonner sur l’ensemble d’un rayon et non sur quelques produits. Sa conclusion : «Pour ça, j’ai besoin de la contribution de la grande distribution.»