http://www.lepoint.fr/societe/denis-policier-a-la-bac-le-flic-est-un-sous-citoyen-28-07-2010-1219604_23.php
"ON SE COUCHE DEVANT LES CAÏDS"
"Nos collègues de Grenoble ont leur nom et prénom tagués sur les murs
du quartier de la Villeneuve. Et la seule réponse du ministère, c'est
de les mettre au repos ou de les muter. Je suis dans la BAC depuis 10
ans. Aujourd'hui, je suis écoeuré. Une fois encore, on se couche devant
les caïds. On nous a donné l'ordre de ne plus patrouiller en civil, de
remettre nos uniformes pour ne pas être identifiés comme un flic de la
BAC. C'est désastreux pour l'image. Les petits caïds se disent dans leur
tête que les flics ont peur, qu'ils reculent. Parmi les policiers
exfiltrés, il y a un major à deux mois de la retraite avec 15 ans de BAC
derrière lui. C'est la honte."
"DE LA CHAIR À CANON"
"On se fout de la gueule des flics, on nous prend pour de la chair à
canon. Quand on pense que Sarko avait promis de karcheriser les cités !
La hiérarchie fait tout pour minimiser la gravité de la situation.
Personne ne sait ce qu'est devenu l'agent de sécurité qui a failli
prendre une balle. C'est l'omerta. Heureusement, l'info circule entre
nous, via les portables."
"GILETS PARE-BALLES PÉRIMÉS"
"Le 22 juillet, je me suis pointé au travail à midi. J'ai appris qu'à
16 heures je devais être à Grenoble pour une mission de neuf jours. Si
tu refuses, t'es muté dans un service de merde. Alors, tu pars risquer
ta peau pour 1.800 euros par mois. Mon métier, c'est de protéger les
biens et les personnes. Pas de me faire tirer comme un lapin par un
crevard de cité. Notre véhicule affiche plus de 100.000 kilomètres au
compteur, à l'intérieur, le chauffage est bloqué. Voilà l'état de la
police aujourd'hui, en tout cas de la sécurité publique, dont je fais
partie. Rien ne fonctionne normalement, ni les voitures, ni les
ordinateurs. Certains ont des gilets pare-balles périmés. Même nos
brassards de police sont usés jusqu'à la corde, j'ai un collègue qui a
été obligé de repasser au marqueur la lettre P du mot police."
"CE N'EST PAS LES CAÏDS QUI VONT FAIRE LA LOI"
"J'entends certains dire il faut envoyer l'armée. Qu'on nous
laisse agir, et ça ira très vite. Ce n'est pas une vingtaine de petits
caïds qui vont faire la loi. Ces derniers jours, avec les renforts qui
ont débarqué, les types se tiennent à carreau. Hormis quelques marioles
qu'il faut savoir calmer. Hier, on est tombé sur un crevard de ce genre.
Le type était au téléphone quand on s'est approché pour le contrôler.
Je m'adresse à lui en le vouvoyant pour lui demander de mettre fin à sa
conversation téléphonique, il me répond en me tutoyant : "Tu es qui toi
pour me demander de m'arrêter de téléphoner. Personne ne me contrôle
ici." Il a pris direct deux pièces de cinq francs (des gifles). Après,
il nous disait : "Bonjour, merci et au revoir." Bien sûr que je me mets
hors clous en agissant ainsi. Mais pourquoi devrait-on baisser la tête ?
Si tous les flics agissaient ainsi, les problèmes seraient vite réglés.
Pour moi, ça, ce n'est pas une bavure, c'est une démarche citoyenne. Il
faut arrêter de verbaliser le citoyen lambda et s'attaquer aux caïds,
aux dealers, aux braqueurs. Quand un jeune de 20 ans roule dans une X6
qui coûte 120.000 euros et qu'il ne travaille pas, c'est à lui qu'il
faut confisquer la voiture sur le bord de la route."
"SARKO NE SAIT PAS CE QUI SE PASSE"
"Il faut que la population sache que les policiers n'ont pas peur
d'entrer dans les cités. Si nous n'y allons pas, c'est que nous avons
ordre de ne pas y aller. Aujourd'hui, la hantise des autorités, c'est la
bavure, l'émeute, l'embrasement. Mais à force de reculer, de renoncer,
on arrive à des situations comme aujourd'hui. Un jour, on se réveille,
c'est trop tard, c'est l'effet boomerang. Je ne crois pas que les
conseillers de Sarko lui disent la vérité sur ce qui se passe. Il
faudrait que tous ces délégués à la sécurité, préfets ou autres viennent
tourner une nuit avec la BAC pour voir l'étendue des dégâts. On dit ici
qu'un flic du Raid a eu dans la jumelle de son fusil un voyou perché
sur un toit avec un lance-roquettes. Et qu'il n'aurait pas reçu l'ordre
de tirer. Si j'avais été à sa place, j'aurais appuyé sur la détente. Et
cela ne m'aurait pas empêché d'aller manger une pizza après. Est-ce
qu'on attend qu'il pulvérise un fourgon de flic ?"
"LA PAROLE D'UN FLIC NE VAUT RIEN"
"Les flics vont se mettre à tirer. S'ils ne l'ont pas encore fait,
c'est parce que la peur de perdre leur boulot est plus forte. Mais les
flics en ont ras le bol. Après 15 ans de police, sans le moindre
problème, je me suis retrouvé du jour au lendemain mis en garde à vue,
perquisitionné à mon domicile parce qu'un crevard de cité,
multirécidiviste, m'avait accusé de l'avoir agressé. Ce qui était faux.
Mon service de nuit à peine terminé, je me suis retrouvé en garde à vue,
puis mis en examen par le doyen des juges d'instruction. Pourtant, je
suis un des flics les plus décorés de ma génération. Le doyen en
question qui n'avait jamais mis les pieds dans un commissariat, ni même
dans une voiture de flic m'expliquait comment il fallait que
j'intervienne sur la voie publique. J'ai été suspendu durant neuf mois,
privé de salaire. Je vivais avec 300 euros par mois. Si je ne suis pas
mis une bastos dans la tête, c'est parce que mes proches m'ont soutenu.
Au bout du compte, j'ai été relaxé par le tribunal. La parole d'un flic
aujourd'hui ne vaut rien. Ni devant un jeune de cité, ni devant un juge,
ni devant un élu. Le flic est un sous-citoyen."