Les nouveaux riches

La semaine derni�re, j'ai eu l'insigne honneur d'assister � un th��tre sans nom. Cela s'est pass� dans un quartier c�l�bre de Brazzaville. Un ami tr�s au courant de mon go�t envers tout ce qui a attrait � la sordidit� et � l'insolite, a r�ussi � me faire inviter � une c�r�monie toute surr�aliste. Son cousin germain allait offrir une r�ception haute en couleurs : tenue de ville exig�e, venir avec une �pouse ou avec une esp�ce d'�pouse, le cas �ch�ant.

Je me pointe sur les lieux, à l'heure indiquée, seul. Mon ami est déjà là, il m'attend. Dès qu'il m'aperçoit, il est secoué par un fou rire étrange.

- « Tu vas bien rire, mon cher. » me lance-t-il. « Reste tranquille et joue le jeu. »
- « Quel jeu dois-je jouer ? » Il me répond
- « Joue les nouveaux riches. », « Comment on joue les nouveaux riches ? »
- « Portable à la main, parle avec grandiloquence de ta cinquième voiture par exemple qui traîne au port de Pointe-Noire, de ton prochain voyage en Italie ou en Suisse, de ta fille aînée qui fait ses études aux Etats-Unis, des élections remportées dès le premier tour, enfin des blabla comme ça !

- « Si tu ne le fais pas, tu te feras repérer, tu comprends ? »
- « Je suis dubitatif, mon ami le remarque vite. » et il ajoute
- « Tu as déjà fait du théâtre non ? Alors joue, c'est tout. »

Je m'exécute, et me voilà parti pour jouer les nouveaux riches au milieu d'un parterre de femmes et d'hommes propres et coquets qui dégagent des odeurs d'eau de Cologne à embaumer une momie égyptienne !

Je parle de mes ordinaires, de ma radio satellitaire, de mes bus, de mes postes téléviseurs et de ma villa aux portes coulissantes que je suis en train de construire quelque part dans un quartier périphérique. Miracle : je suis adopté. Telle dame me récite ses exploits financiers et autres, un autre m'avertit solennellement qu'elle va se faire ouvrir un commerce d'habits de luxe conçu par Alphadi, un monsieur court comme un guerrier pygmée, le secret de ses conquêtes féminines et de virées à l'Espace Faignond, une boîte de nuit de Poto-Poto ou à l'hôtel Le Méridien... On se congratule, on s'esclaffe de rire, l'avenir nous appartient.

Puis, tout à trac, un boulet de klaxon en série vient troubler cette entente. Dans le groupe, on murmure un nom prestigieux. Il arrive, celui qu'on attend, à bord d'un luxueux 4x4, accompagné d'un cortège des véhicules flambants ! Il porte un costume chic et sa dame est de blanc vêtue comme une fausse jeune mariée qui vient de se faire rectifier l'âge. Le couple est applaudi chaleureusement, il distribue des poignées de mains et des risettes. Puis, le Monsieur nous invite à faire quelques pas à pied sur près de 500 mètres. Nous nous retrouvons devant un grand portail sous les applaudissements. Tout le monde s'engouffre dans la cour de l'habitation, ça sent la peinture fraîche. Une belle villa se dresse devant nous.

Le Monsieur sort d'autres clés, se dirige vers la porte d'entrée, tient un petit discours incompréhensible, son français est minable, approximatif et bourré de congolismes affreux mais pittoresques. Sa dame ouvre la porte d'entrée. Les applaudissements fussent encore de partout. Nous entrons, tout est neuf, le carrelage, les meubles, etc. Des plats cuisinés, des boissons ont été apportés par cinq domestiques et garçons de course.

La table est prête, le Monsieur déclare dans un français bien à lui.

- « Je vous merci de mettre le pied dans mon nouveau villa. Mangez-vous, buvez-vous après dansez-vous ! »

Et la fête fut belle. Elle dura toute la nuit. A l'aube, le Monsieur, éméché, annonça pour clôturer les travaux :

- « Dans un mois, il y aura autre chose et vous serez encore tous invités. Bon retournement chez vous ! »