.Transport Barometer 2011 : une pointe de découragement
Notre enquête de conjoncture semestrielle porte les stigmates de deux années de crise, d’une reprise jugée trop molle (ou trop volatile) et de l’explosion des prix du carburant. Les moyennes y sont donc moyennes, mais le fossé se creuse entre optimistes et pessimistes, ou plutôt entre combatifs et résignés.
On peut tout faire dire aux chiffres. Prenez l’indicateur de confiance que nous établissons depuis 6 ans. En s’établissant à 5,78, soit une progression d’un demi-point par rapport à l’an dernier, il pourrait laisser croire que les transporteurs belges ont une meilleure confiance en eux qu’en 2009. Ce n’est que partiellement vrai.
Confiance mitigée
La distribution des réponses, qui pouvaient aller de 1 (confiance très faible) à 10 (confiance parfaite), laissent apparaître une forte polarisation. En fonction des circonstances propres à chaque entreprise, le moral des transporteurs oscille entre l’euphorie due à de nouveaux contrats ou le ras-le-bol dû à l’explosion des prix du diesel, à la concurrence des confrères ‘qui roulent sous le prix de revient’ ou aux contrôles tatillons… ou à la crainte d’une rechute de l’économie.
Le bilan de l’année 2010 est tout aussi mitigé. En termes de taux de satisfaction, 2010 fait évidemment mieux que 2009, mais moins bien que 2008, alors que l’on a tout de même connu un début de sortie de crise. C’est du moins le cas pour les volumes de transport, qui ont progressé de 6.99 % en moyenne, mais signalons tout de même que la proportion d’entreprises signalant une baisse des volumes a augmenté de 9,7 à 12,2 % en un an.
Déséquilibre prix de revient / prix de transport
Le problème se situe plutôt au niveau du déséquilibre entre l’augmentation du prix de revient et la progression des tarifs de transport. Ce déséquilibre a toujours existé, même dans les années fastes (2006 et 2007). L’écart entre les deux variables est inférieur de moitié à ce qu’il était en 2008 et 2009. Mais tout est une question de timing. En octobre dernier, lors d’une précédente édition du Baromètre, nous avions établi que 7 transporteurs sur 10 n’avaient pas encore osé demandé d’augmentation de prix à leurs clients, mais que sur les 30 % restants, 4 transporteurs sur 5 avaient obtenu cette augmentation. Cette fois, 77 % des transporteurs ont obtenu une augmentation, même si elle n’est pas toujours du niveau initialement exigé. Mais 8 % des transporteurs n’osent pas encore renégocier leurs tarifs, alors que le prix de revient augmente de 1,5 % par mois (chiffres ITLB à l’appui).
Cela montre malheureusement qu’il y a encore trop d’offre sur le marché, particulièrement de la part de ‘casseurs de marché’ ou de sociétés qui ne méritent pas le titre de transporteur professionnel. C’est particulièrement le cas dans le transport de conteneurs.
Clause diesel
Un autre aspect important du calcul des prix ressort clairement, et pour la première fois, dans notre Baromètre : une proportion croissante sépare complètement les augmentations de tarifs et la clause diesel, et certains souhaiteraient scinder l’index des prix de l’ITLB en deux, avec d’une part le prix de revient hors carburant, et d’autre part l’évolution du carburant lui-même.
Malgré tout, la situation de rentabilité des entreprises semble s’être améliorée en 2010. Une entreprise sur 2 a pu augmenter sa marge bénéficiaire, grâce principalement à des mesures augmentant la productivité du personnel (dans 55 % des cas), à une politique commerciale plus affutée (49 %) et à des investissements IT (46 %). Soit des mesures de ‘bon gestionnaire’.
Progression de la sous-traitance
Mais on note cette année une forte progression des mesures ‘défensives’ : sous-traitance d’une partie de l’activité de transport (45 %), délocalisation (19 %) ou réduction de la taille du parc (18 %). En ce qui concerne les délocalisations, si on ne note que deux cas de création d’une filiale en Europe centrale, la quasi-totalité des entreprises qui disposent déjà d’une telle construction décident d’y loger une plus grande partie de leurs activités en 2011. Elles sont mêmes nombreuses à indiquer qu’il s’agit d’une simple question de survie économique.
L’heure n’est donc certainement pas aux extensions de parc. La forme que prend la reprise le demande pourtant. Au lieu d’une progression linéaire des volumes de transport, on assiste à une reprise fragmentée, volatile et imprévisible. Avec des besoins plus élevés en véhicules, mais sur des périodes plus courtes. Dans ce contexte, seul le recours à la sous-traitance et/ou à la location (encore faut-il avoir un chauffeur sous la main) peut apporter une solution.
Investissements : d'abord la formation
Cette situation un peu schizophrène a un impact massif sur les perspectives d’investissement. Les extensions de parc semblent réservées aux rares entreprises qui ont des perspectives de croissance claires. Le reste du paysage se divise clairement et à parts à peu près égales entre les sociétés qui indiquent être revenues à une politique de remplacement normale de leurs véhicules et celles qui repoussent une fois de plus à plus tard tout investissement.
Ceci est valable pour le parc roulant, mais pas pour les formations chauffeurs. L’année 2011 voit donc exploser le nombre de demandes de formations, d’une part pour se mettre en conformité avec les exigences de la loi sur la compétence professionnelle, et d’autre part pour bénéficier à court terme des avantages de l’ecodriving. Certaines entreprises investissent même dans des cours accélérés d’ecodriving qui ne comptent pas pour la compétence professionnelle !
Au bout du compte, les incertitudes pesant sur 2011 restent nombreuses. La manière dont se sont comportés les volumes depuis janvier n’incite pas (plus) à un optimisme franc. Et l’on voit même poindre, chez certains dirigeants d’entreprises pourtant saines, une forme d’abattement inhabituel.
Résultats précédents (octobre 2010)
Paroles de transporteurs
Il est impératif de répercuter l'augmentation du prix du gasoil via une surcharge, tout en éduquant les chauffeurs à une conduite plus écologique. La survie des transporteurs passe par une facturation d'un prix juste.
L’année n’a pas particulièrement bien débuté. La guerre des prix est toujours là et vu que la plupart des clients ont reçu une demande d’augmentation de prix, certains sont passés à la concurrence qui n’a rien demandé. Beaucoup de nos collègues n’ont rien appris de la crise et continuent à rouler en dessous de leur prix de revient. Ou alors ils ne savent pas calculer. Le problème, c’est que nous ne pouvons pas travailler, sans faire ici et là des choses pas autorisées. Nous devons devenir un secteur que l’on estime à sa juste valeur, au vu du nombre d’emplois qu’il crée. Même dans les grandes entreprises mondiales, on ne s’en sort pas sans faire des heures supplémentaires. Si l’on y ajoute le stress inhérent aux problèmes, eh bien nous sommes largement sous-payés !
Survivre en tant que transporteur belge n’est plus possible sans délocaliser vers des pays à bas salaires pour effectuer les trajets sur longues distances.
Il faut que les prix augmentent ou que les coûts diminuent.
2011 s’annonçait prometteur, mais en 2009, les prix s’étaient écroulés de 10 à 15 %. Le mouvement de rattrapage n’est pas encore complet. Au contraire, nous avons beaucoup de difficultés à faire appliquer la clause diesel, alors que les prix du carburant explosent.
E fait, il faudrait un Arrêté Royal ou un décret qui rendrait obligatoire le paiement de la fraction ‘carburant’ du prix de revient. Cette fraction serait déterminée chaque mois pour chaque branche de transport.
En 2010, nous avons dû maintenir nos tarifs au niveau de 2009 pour la plupart des clients. En 2011, nous avons obtenu une petite augmentation, mais cela ne compense pas la hausse du prix de revient. En plus, nous sommes un secteur en pénurie, donc on doit souvent fermer les yeux parce que nous ne pouvons pas nous permettre de licencier un chauffeur.
Dans le transport de conteneurs, les volumes repartent un peu, mais les tarifs sont toujours sous forte pression, et les chargeurs jouent sur la concurrence entre transporteurs. Il n’y a pas beaucoup d’espace pour investir. Par contre, des partenariats permettent de travailler mieux et de manière plus rentable.
Nous devons être rapides sur la balle dans TOUS les domaines (réduction des erreurs, des heures non productives, maintenir la motivation du personnel, visiter davantage les clients). 2011 sera encore une année difficile, mais nous aurons trop peu de roues en 2012 !
Les transporteurs belges vont acquérir trop de nouveaux matériels. Ils se plaignent du niveau des prix, mais les clients ne connaissent pas le prix de revient d’un transporteur. Ils font leur marché, et tant que les transporteurs sont assez idiots pour supporter les pertes seuls, il n’y a que le client qui s’en sortira à bon compte.
Les collègues ne répercutent pas l’augmentation de leur prix de revient. Nous souffrons aussi de la pression de la grande distribution sur le prix des aliments. Aujourd’hui, le prix est plus important que le service, la qualité et le côté durable. Beaucoup de belles paroles, mais nous respectons à 100 % les temps de conduite et de repos, et notre prix de revient est supérieur à celui de nos collègues qui fraudent un peu. L’autre raison, c’est que nous n’employons pas encore de chauffeurs de l’est. Chez nous, la langue parlée par le chauffeur était encore importante. Maintenant, il n’y a plus que le prix. Nous serons forcés de prendre des chauffeurs de l’est à cause de la pression sur les prix. Nous allons aussi réduire la flotte. Ce n’est plus humain de devoir réaliser tout ce qu’on fait et de porter toujours le chapeau.
La concurrence des transporteurs étrangers (je veux dire des semi-remorques belges avec un tracteur étranger) est énorme. Il est presque impossible d’augmenter les tarifs de transport, et cela brise des relations que nous avions mis des années à construire avec des clients.
Tant que des chargeurs savent qu’il y a des transporteurs qui trichent, le marché ne se portera pas mieux. Il est grand temps de voir plus de contrôles chez les transporteurs eux-mêmes, sur les temps de conduite et de repos, mais aussi sur le travail au noir, sur les chauffeurs qui roulent sur deux véhicules (un avec un tachygraphe digital et un avec disque). Il faudra cela pour que les clients acceptent de payer le prix juste. J’ai encore de l’espoir (après 25 ans de métier), mais ça dure vraiment longtemps !
Après un bon début d’année, nous vivons une chute de la demande. La pression de l’ex bloc de l’est grandit encore, nous ne pouvons pas résister à leur politique de prix. De plus en plus de transporteurs belges délocalisent ou mettent en place des structures pour employer des chauffeurs slovaques, roumains ou polonais sur des véhicules immatriculés en Belgique. Mais où sommes-nous tombés ?
Nous avons une incertitude sur l'évolution rapide du prix de revient et sur le temps d'adaptation du tarif vers nos clients, d'où perte de marge.
Les coûts d’entretien augmentant aussi, les fournisseurs qui n’avaient rien demandé en 2009 et 2010 se rattrapent.
Les prix du diesel, la concurrence de l’Europe de l’est, les contrôles sur les temps de conduite et sur les répartitions de charges à l’essieu… : c’est trop. On en a marre !
2011 a plutôt bien commencé, mais je n’arrive pas à avoir confiance à long terme, vu que je ne peux pas évaluer comment les prix du diesel vont évoluer.
Source Truck en Busines