Ça me dégoûte.
service de mise à l’abri de Sorigny, géré par l’Institut départemental de l’enfance et de la famille accueillait ce 1er février 2024, 42 jeunes migrants, en attente d’évaluation ou, pour ceux reconnus mineurs, d’un hébergement dans les dispositifs de l’aide sociale à l’enfance.
(Photo NR, Julien Pruvost)
Depuis 2019, le Département héberge à Sorigny les jeunes migrants en attente de leur évaluation. Un court séjour en communauté où se mêlent attentes et espoir. Reportage.
Des murs entiers recouverts de photos. C’est ce qui frappe le visiteur dès la porte franchie. Au rez-de-chaussée, le long couloir est recouvert de clichés. Dessus, on y découvre des jeunes, des garçons principalement, tout sourire. Des portraits mais aussi des photos de groupe, pris au sein de la structure ou à l’extérieur à l’occasion d’une sortie, d’un match de football. Ils témoignent du quotidien du service de mise à l’abri (Smal) de Sorigny, ouvert en 2019.
« Beaucoup ont du mal à dormir la nuit »
L’année précédente, 1.900 jeunes migrants, se présentant comme mineurs, avaient afflué en Indre-et-Loire. Une année « record » où les chambres d’hôtels ne pouvaient plus répondre efficacement à la prise en charge de ces jeunes exilés venus de Guinée, de Côte d'Ivoire… Les services de l’aide sociale à l’enfance (Ase) du conseil départemental d’Indre-et-Loire ont donc investi les anciens locaux de la Maison familiale rurale de Sorigny, à trente minutes au sud de Tours, pour y accueillir les jeunes migrants en attente de leur évaluation (lire ci-dessous). Un bâtiment qui permet d’héberger jusqu’à 56 jeunes (50 places sont réservées aux garçons, six aux filles). La durée des séjours varie, de quelques jours, jusqu’à trois mois pour les plus longs.
Le bâtiment qui accueillait la Maison familiale rurale est devenu le refuge des migrants. Il est situé à la sortie du centre-bourg de Sorigny.
Le bâtiment qui accueillait la Maison familiale rurale est devenu le refuge des migrants. Il est situé à la sortie du centre-bourg de Sorigny.
(Photo NR, Julien Pruvost)
À leur arrivée, la plupart n’ont rien. Pas de papier, très peu de vêtements. Les quelques objets personnels sont gardés en lieu sûr dans le bureau de la directrice, Muriel Blu. « Je prends les montres, les couteaux, détaille la responsable du centre. L’un d’entre eux m’a même confié un morceau de pain qu’il a rapporté de Paris. C’est un souvenir qu’il veut absolument garder. »
Une infirmière, une psychologue
Au centre, on leur fournit des vêtements, des chaussures, une doudoune. Ils dorment en chambrée, par groupe de quatre ou cinq, « sauf les premières nuits. Ils sont isolés le temps qu’on reçoive les résultats de leur radio pour voir s’ils n’ont pas la tuberculose. »
L’équipe éducative gère le quotidien des jeunes migrants : lessive, nettoyage des chambres…
L’équipe éducative gère le quotidien des jeunes migrants : lessive, nettoyage des chambres…
(Photo NR, Julien Pruvost)
Les corps de ces jeunes ont été mis à rude épreuve. « Ils souffrent de pathologies liées à leur exil, plus ou moins longs selon les parcours de chacun. Beaucoup ont du mal à dormir la nuit. »
En plus des dix éducateurs, une infirmière, une aide-soignante et une psychologue accompagnent les jeunes au quotidien. « On ne les questionne pas sur leur parcours, s’ils veulent parler on les écoute, mais certains n’arrivent pas à lâcher prise. »
Sport, cours de français
Rythmer leur journée est une nécessité. « C’est important de fixer des repères. Ils prennent leurs repas ensemble, font du sport une fois par semaine au gymnase de Sorigny. » Le centre dispose d’une salle de jeu avec baby-foot, table de ping-pong, jeux de société, télévision. « On met aussi en place des ateliers autour de l’alimentation, l’hygiène, ajoute Gwendoline, éducatrice. On propose des cours de français. » Beaucoup sont francophones, traduisent quand il le faut à ceux qui parlent une autre langue.
Des activités pour rythmer les journées sont proposées aux jeunes.
Des activités pour rythmer les journées sont proposées aux jeunes.
(Photo NR, Julien Pruvost)
À les observer rire et chahuter comme dans une colonie de vacances, on oublie presque les raisons de leur présence. « L’attente les angoisse, ils aimeraient travailler, gagner de l’argent, être autonome. » Être reconnu mineur facilite les choses, « ils peuvent avoir accès à la scolarité, l’apprentissage. »
Apprendre à bien se nourrir fait partie des missions du centre d’accueil de Sorigny. « On leur explique l’importance de manger équilibré. » Les jeunes qui arrivent d’Afrique le plus souvent ne sont pas habitués à la cuisine française.
Apprendre à bien se nourrir fait partie des missions du centre d’accueil de Sorigny. « On leur explique l’importance de manger équilibré. » Les jeunes qui arrivent d’Afrique le plus souvent ne sont pas habitués à la cuisine française.
(Photo NR, Julien Pruvost)
Sorigny n’est pas un lieu fermé. « Ils ont le droit de sortir, mais la plupart du temps, ils restent ici ensemble. » Le téléphone portable dans la poche, ils prennent régulièrement des nouvelles de leur famille, restée au pays. « C’est une bonne chose pour eux de rester en contact avec leurs proches. »
Retour à la rue pour les majeurs
Le résultat de l’évaluation signe, en théorie, la fin de la prise en charge à Sorigny. En ce moment, des jeunes reconnus mineurs patientent au centre, le temps qu’une place se libère dans un foyer ou un appartement.
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Ceux reconnus majeurs sont laissés à la rue, « on les oriente vers les dispositifs d’hébergement d’urgence de l’État. »
Un départ brutal auquel l’équipe éducative de Sorigny n’est jamais complètement préparée. « Quelquefois, certains nous appellent pour nous donner des nouvelles, laisse échapper l’infirmière du centre. Ça fait plaisir… »
Les jeunes sont logés en chambrée, par groupe de quatre ou cinq. Une chambre est réservée pour les filles.
Les jeunes sont logés en chambrée, par groupe de quatre ou cinq. Une chambre est réservée pour les filles.
(Photo NR, Julien Pruvost)
Un entretien pour évaluer la minorité
Dans le cadre de la protection de l’enfance, les Départements ont l’obligation de mettre à l’abri pendant cinq jours les migrants qui se déclarent mineurs. Cet accueil provisoire doit permettre d’évaluer la minorité et l’isolement familial. En Indre-et-Loire, l’observation au centre de Sorigny et un entretien de trois heures permettent de recueillir un « faisceau d’indices » pour déterminer l’âge du jeune. « On ne procède que très rarement à des tests osseux, et seulement à la demande d’un juge », assure Anaïs Travia, chef de service des mineurs non accompagnés.
En 2023, 471 jeunes se présentant comme mineurs ont été accueillis par le Département, 85 % ont été reconnus majeurs après leur évaluation.