Bon, je sais, c'est un peu long...
...mais je pense qu'on peut y trouver quelques pistes intéressantes, quoi que pas surprenantes.
...mais je pense qu'on peut y trouver quelques pistes intéressantes, quoi que pas surprenantes.
Illustration : Marc Clamens
Un monde à eux
Des cataclysmes, peu de géopolitique, beaucoup de témoignages, peu d’analyse… l’actualité internationale par les grand-messes du 20 heures dessine un monde en net décalage avec la réalité. Une terre aux contours insolites, sauf sur Arte.
La couverture de l’international au journal télévisé, vous savez, c’est comme la Bourse, ça monte, ça descend, c’est cyclique… » Parole d’expert. Ainsi Bernard Volker, le « monsieur politique internationale » de TF1, résume-t-il la place qu’occupe l’actualité étrangère dans nos JT de 20 heures : une place à géométrie variable, qui ne va jamais de soi. « Il y a une tendance générale au repli sur l’actualité nationale », constate un journaliste de TF1. « Les chaînes généralistes considèrent que l’international est une matière distante, difficile, d’où une certaine frilosité ; et puis, la France est dans une phase introspective », renchérit Thierry Thuillier, responsable du service étranger et de l’émission de géopolitique Un œil sur la planète, à France 2, qui admet avoir « plus de marge de manœuvre dans le magazine que dans les news ». Seule voix dissonante, celle de la rédaction d’Arte – et, dans une moindre mesure, celle de Canal+ – pour laquelle l’international reste un choix fort. Alors, à quoi ressemble le globe soir après soir, dans nos JT ? Petite visite guidée sur la planète des JT en 2005 (1).
Drôle de globe
C’est une planète où le Vatican est six fois plus grand que le Brésil, l’Inde à peine plus que la Suisse et où l’Afrique du Sud pèse moins lourd que Chypre. Une planète où l’Afrique et l’Amérique latine n’existent quasiment pas, d’où l’Océanie a presque disparu, mais où Israël et la Palestine occupent l’essentiel du Moyen-Orient. Bref, une planète qui n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. Cette drôle de géographie, c’est pourtant celle que nos journaux télévisés construisent et qu’ils nous retransmettent, jour après jour, reportage après reportage, brève après brève. Et qui constitue LA planète aux yeux d’une majorité de Français, en dehors de leurs voyages à l’étranger. Et pour cause : 20 millions de Français sont au rendez-vous devant les trois JT du soir et, pour 70 % d’entre eux, ceux-ci constituent la seule source d’information…
Vents et marées
Imaginez donc un JT sans catastrophes naturelles ... « Ce ne serait plus un JT », s’amuse un journaliste de TF1. Force est de constater que la météo est devenue la première pourvoyeuse de sujets « internationaux », aux côtés des catastrophes non naturelles (à commencer par les crashs aériens) et des conflits armés (à condition qu’il y ait une présence occidentale). Aucune chaîne n’y échappe. TF1 et France 2, bien entendu, qui ont rivalisé de moyens techniques et humains pour (sur)couvrir le tsunami ou le cyclone Katrina, et n’ont pas été en reste sur la vague d’intempéries en Europe ou les cyclones Wilma, Rita et Emily. Idem pour M6, jamais en retard pour nous informer de vagues géantes ou d’un blizzard aux Etats-Unis. Et même Arte, mais sur des aléas climatiques moins couverts – l’ouragan Beta au Honduras, pour n’en citer qu’un. Fascination pour les catastrophes, suivisme, intérêt croissant pour les questions environnementales, les raisons sont multiples. Mais surtout, en matière internationale comme ailleurs, il n’y a pas mieux qu’une catastrophe pour faire carburer son JT à l’émotion. Et fédérer les téléspectateurs. D’autant plus si, comme dans le cas du tsunami, la catastrophe frappe aussi des touristes occidentaux. Souvenez-vous : qui n’a pas eu l’impression, en regardant les images de la vague géante, que les Blancs, surtout, étaient touchés…
Si ça vaut le coup, on met le paquet
A TF1, on a eu le déclic au moment de la mort d’Yves Montand, en 1991. « On a ajouté cinquante minutes au JT et ça a marché, se souvient un journaliste. Depuis, on ne fait plus que ça : en cas d’événement important, on le couvre à fond et on n’hésite pas à bâtir des journaux d’une heure. » Ainsi est né le « mono-événement », catégorie à part de faits internationaux ultrafédérateurs. Mort du pape ou du prince Rainier, tsunami ou attentats de Londres : les rédactions sont alors capables de mobiliser des trésors de technique et de moyens humains. Question d’Audimat, expliquent les chaînes. « Mais c’est aussi une occasion rêvée de traiter d’un pays dont on ne parle pas forcément en temps normal, explique Jean-Jacques Basier, rédacteur en chef du 19/20, sur France 3. Comme on envoie nos équipes, on en profite pour faire toute une série de reportages, au-delà de l’événement en lui-même, et on étale la diffusion dans le temps. »
En dehors du « mono-événement », point de salut ? Jean-Jacques Basier reconnaît que le combat est difficile : « On ne peut pas ne pas traiter les grosses catastrophes et les conflits armés. A partir de là, une majorité de notre budget y passe. Le reste, c’est du bonus. » Le choix peut aussi être stratégique, comme sur TF1 : « Avec la montée de la concurrence, Namias (directeur général adjoint chargé de l’information) et Poivre ont misé sur l’info de proximité, qui ramène plus d’audience », résume un reporter de la chaîne. « Hors période d’actu chaude type Irak ou tsunami, TF1 ignore le monde, tranche Régis Faucon, ex-responsable du service étranger de la chaîne. Derrière son vernis de respectabilité, le JT de Poivre n’est pas bien différent de celui de Pernaut à 13 heures : leurs mots d’ordre, c’est proximité et franco-français. » Critique facile quand on ne fait plus partie de la maison, rétorque-t-on à TF1. Et pourtant, si le 20 heures affiche a priori un impressionnant palmarès de sujets consacrés à l’étranger, c’est pour mieux les traiter… sous forme de brèves. De préférence, en deuxième partie de journal.
Thalasso à gogo, Otan mis au ban
Il fut un temps où parler d’international revenait à rendre compte des visites officielles ou du dernier sommet de l’Otan. Au début des années 90, TF1 n’hésitait pas à envoyer six journalistes pour couvrir une réunion du G7. Autres temps, autres mœurs. « Aujourd’hui, on se retrouve à deux, au grand maximum », constate-t-on à TF1. L’évolution est générale : moins d’institutionnel, moins d’analyse, plus de reportages. De Moscou à Washington via Londres ou Rome, les correspondants permanents, autrefois pourvoyeurs de sujets diplomatiques, sont devenus des bureaux d’« info géné ». Seule Jérusalem continue à alimenter les différents JT avec une majorité de sujets politiques. Les infos reflètent aussi les conditions de travail des journalistes. Par exemple, France 2 accorde moins de dix sujets à l’Algérie en un an, et de moins en moins à l’Irak et la Syrie parce que l’accès à l’information y est de plus en plus difficile.